Chapitres

Interaction virus-cellule

Les virus ne sont pas des organismes autonomes, à l'inverse de la plupart des bactéries ou des protozoaires. Les virus sont des parasites obligés qui dépendent de la cellule qu'ils infectent pour la réplication de leur génome et la production de leurs constituants (protéines, enveloppe...).
Ils entretiennent donc une relation particulière avec la cellule dans la mesure où ils en exploitent les ressources. Ils détournent le fonctionnement de la cellule à leur profit tout en la ménageant pour que les ressources cellulaires ne s'épuisent pas prématurément.

Par ailleurs, la cellule peut aussi réagir à la présence d'une infection en activant certains processus de défense anti-virale, comme la sécrétion de cytokines, en particulier les interférons, ou en déclenchant un programme de mort cellulaire programmée (apoptose) bloquant rapidement la réplication virale.

Issues de l'infection d'une cellule

II.1.1. Issues de l'infection d'une cellule.
1. Infection abortive: se solde par l'élimination du virus. - 2. Infection persistante: la cellule reste en vie mais le virus s'y réplique et peut éventuellement être transmis. - 3. Infection lytique: la cellule est détruite, ce qui libère les particules virales.

1. Stratégies de réplication à l'échelle cellulaire

 

Le type de relations qui s'installe entre virus et cellule dépend de la nature du virus mais aussi de la nature de la cellule. Par exemple, un virus donné peut avoir un comportement très différent lorsqu'il se trouve dans une cellule épithéliale, un neurone, ou un macrophage. De même, des virus d'espèces différentes sont susceptibles d'utiliser des stratégies de réplication distinctes pour se multiplier dans un même type de cellule.

La vitesse intrinsèque de réplication d'un virus dans une cellule peut être très variable. Par exemple, le virus de la fièvre aphteuse (FMDV) peut effectuer un cycle de réplication complet (de la reconnaissance du récepteur à la sortie des virions néoformés) en moins de 6 heures. A l'inverse, un virus comme le virus de l'hépatite A nécessite plusieurs jours pour effectuer un cycle viral complet.

Après reconnaissance du récepteur et relargage du génome viral dans la cellule hôte, l'issue de l'infection peut varier. (Figure II.1.1)

Issues de l'infection d'une cellule

- L'infection peut être abortive si le génome viral, après avoir été introduit dans la cellule ne peut s'y répliquer (par exemple, vu l'absence d'un facteur spécifique) ou si la réaction cellulaire est précoce et prévient ainsi la réplication du virus.

- Lorsque l'infection d'une cellule aboutit à la production de virus infectieux, on parle d'infection productive.

- Celle-ci peut être persistante lorsque la cellule survit à l'infection et produit du virus sans être lysée. Ce type d'infection est bien connu dans le cas de certains virus enveloppés capables de bourgeonner sans entraîner de lyse cellulaire. On comprend particulièrement facilement que les virus comme les rétrovirus, qui intègrent leur génome dans le génome de la cellule hôte, ne produisent pas systématiquement la lyse de cette cellule.
On suspecte l'existence de mécanismes alternatifs, non-lytiques, pour la sortie des virus non-enveloppés, comme l'exocytose ou le passage direct de cellule à cellule.

- Dans la plupart des cas, les virus non-enveloppés et certains virus enveloppés entraînent la destruction de la cellule infectée. On parle alors d'infection "lytique". Dans le cas des virus non-enveloppés, la lyse cellulaire assure le relargage des virions dans le milieu extracellulaire, permettant alors l'infection des cellules voisines.  Dans le cas des virus enveloppés, la production virale implique une étape de bourgeonnement et donc l'intégrité des membranes cellulaires. Dans ce cas, la lyse cellulaire peut survenir après la production des virus, suite à la perturbation du métabolisme cellulaire.

2. Utilisation de la machinerie cellulaire par les virus

2.1. La cellule: un espace compartimenté

 

La relation entretenue entre virus et cellule tient aussi compte du fait que la cellule est un "espace compartimenté". (Figure II. 1. 2). Les constituants cellulaires qui peuvent être nécessaires à la réplication virale sont répartis dans différentes sous-entités de la cellule.

Par exemple, l'ADN-polymérase nécessaire à la réplication des virus à ADN, l'ARN-polymérase II qui assure la transcription des ARNm à partir d'ADN, et la machinerie d'épissage, sont localisées dans le noyau. Les ribosomes qui assurent la traduction sont cytoplasmiques. Les protéines de la membrane plasmique et les protéines sécrétées sont acheminées vers la surface via la voie de sécrétion impliquant le réticulum endoplasmique et l'appareil de Golgi. De même, les glycoprotéines insérées dans l'enveloppe du virus suivent cette même voie de sécrétion et acquièrent leur glycosylation dans le réticulum endoplasmique et l'appareil de Golgi.
Les mitochondries forment aussi un réseau défini (qui s'assemble et se dissocie de manière dynamique). Ces organites jouent notamment un rôle clef dans le déclenchement de la mort cellulaire par apoptose et servent de support à des protéines impliquées dans la voie de déclenchement de la production des interférons de type-I (IFNs-α/β).

Il existe donc un mécanisme d'adressage des composants cellulaires et viraux vers le compartiment auquel ils sont destinés. Par exemple, les protéines de la membrane externe et les protéines sécrétées sont synthétisées sous forme d'un précurseur muni d'une "séquence signal" (ou "peptide signal") N-terminale permettant leur interaction avec la machinerie d'exportation et leur translocation dans la lumière du réticulum endoplasmique où la séquence signal est éliminée.

 

 

2.2. Modification du fonctionnement cellulaire par les virus

Si les virus adaptent leur cycle de réplication au fonctionnement de la cellule, ils peuvent aussi considérablement modifier ce fonctionnement.

Apport direct de composants: l'infection par un virus peut apporter à la cellule des acides nucléiques (génome viral), des protéines (par exemple les protéines de tégument des virus Herpès), ou même des ribosomes (transportés par certains arénavirus).

L'effet le plus critique de l'infection d'une cellule est probablement la modification de sa capacité codante du fait de la présence du génome viral. Celui-ci codera une série de protéines structurales et non-structurales nécessaires au cycle de réplication du virus. Les protéines structurales sont nécessaire à l'élaboration du virion. Les protéines non-structurales ne sont détectées que dans la cellule infectée et sont, par définition, absentes des particules virales. Elles participent au processus de réplication virale et ont souvent pour rôle de modifier le fonctionnement de la cellule au profit du virus.

Perturbation du fonctionnement cellulaire par les protéines non-structurales virales

Certaines protéines non-structurales participent essentiellement ou uniquement au processus de réplication du virus. Un exemple type en est l'ARN-polymérase ARN-dépendante codée par les virus à ARN. D'autres protéines non-structurales sont produites par les virus pour modifier le fonctionnement de la cellule. Souvent, les protéines non-structurales virales peuvent avoir les deux fonctions: elles participent à la réplication du génome viral, tout en modifiant le fonctionnement cellulaire. Par exemple, la protéase 3C des picornavirus est requise pour assurer le clivage de la polyprotéine virale en ses composants mais elle clive aussi certaines protéines cellulaires, notamment impliquées dans la voie de l'apoptose ou de l'interféron.

Les effets des protéines non-structurales peuvent s'exercer à plusieurs niveaux :

- le cycle de réplication cellulaire: De nombreux virus à ADN codent pour une ou plusieurs protéines qui favorisent la progression du cycle cellulaire vers la phase S (phase de synthèse des acides nucléiques), de manière à pouvoir exploiter les métabolites et enzymes produits au cours de cette phase pour assurer la réplication de leur propre génome. (Fig. II.1.3).
 

Une conséquence de cette activité est que ces virus ont souvent pour effet de favoriser la mitose avec pour conséquence la possibilité de provoquer l'immortalisation et la transformation cellulaire. Ceci ne survient cependant qu'en cas d'échec du cycle lytique.
Des exemples types de telles protéines virales sont la protéine T produite par les Polyomaviridae (SV40 ou le virus polyoma) ou les protéines E6 et E7 codées par les papillomavirus.

- l'expression des gènes cellulaires: L'expression de gènes cellulaires peut être activée ou inhibée par certaines protéines virales. Par exemple, la protéine Tax du virus HTLV-I peut activer l'expression de gènes de cytokines comme l'IL-13 ou moduler le cycle cellulaire en activant l'expression de la protéine suppresseur de tumeur p21.

- le trafic des composants cellulaires: Les virus à ARN ont le plus souvent un cycle de réplication cytoplasmique car il ne requièrent pas les enzymes nucléaires de la cellule. Néanmoins, la réplication de ces virus peut être favorisée par la présence de facteurs cellulaires, normalement présents dans le noyau. Plusieurs Picornavirus ont, par exemple, développé une stratégie visant à perturber le fonctionnement des pores nucléaires pour entraîner une redistribution de protéines nucléaires vers le cytoplasme, où elles s'associent avec le génome viral pour en faciliter la réplication ou l'expression. (Fig. II.1.4).

Cycle cellulaire.

II.1.3. Cycle cellulaire.

            G0: phase de repos (cellule qui ne se divise pas)
            G1: cellule diploïde (2 chromatides)
            S: phase de synthèse d'ADN (chromatides: 2 -> 4)
            G2: cellule diploïde (4 chromatides)
            M: phase de mitose: séparation de 2 cellules

 

Tableau: exemples de protéines non-structurales virales qui interfèrent avec le trafic de protéines cellulaires

Picornavirus  
- Poliovirus
  protéine 3A
inhibe la voie de sécrétion: blocage du passage dans le Golgi
- Rhinovirus
- Poliovirus
  protéine 2A
protéase qui clive certaines nucléoporines et entrave le trafic nucléo-cytoplasmique.
- Cardiovirus
  protéine L
interfère avec la GTPase RAN et avec la phophorylation des nucléoporines : perturbe le trafic nucléo-cytoplasmique
 
Rhabdovirus  
- Virus de la stomatite vésiculeuse (VSV)
  protéine M
perturbe le trafic nucléo-cytoplasmique
 
Herpesvirus  
- Cytomégalovirus (CMV)
  protéine US3
protéine qui séquestre les chaînes naissantes du complexe HLA de classe I dans le réticulum endoplasmique, les empêchant ainsi d'atteindre la surface cellulaire.
 
Lentivirus  
- Virus du Sida (HIV)
  protéine Nef
séquestre la molécule CD4 dans les endosomes... et entraîne ensuite sa dégradation.

Perturbation de la localisation de la protéine PTB par le virus de Theiler (TMEV)

II.1.4. Perturbation de la localisation de la protéine PTB par le virus de Theiler (TMEV).
 

Marquage de la protéine nucléaire PTB dans une cellule non-infectée ou dans une cellule infectée par le virus de Theiler (picornavirus). La protéine est confinée au noyau (exclue des nucléoles) dans les cellules non-infectées et redistribuée dans l'ensemble de la cellule infectée, par l'action de la protéine non-structurale "L" de ce virus.

 

3. Réactions de la cellule à l'échelle cellulaire, locale ou à l'échelle de l'organisme.

II.1.5. Niveaux de réponse à l'infection virale.

La réponse à une infection virale peut se faire au niveau de la cellule infectée (réponse intracellulaire ou réaction de la cellule entière), au niveau local, et au niveau systémique.

Le premier niveau de résistance à une infection virale est le niveau cellulaire (réaction de la cellule que le virus essaie d'infecter). Les mécanismes de résistance mis en jeu peuvent être passifs ou actifs (induits par l'infection virale).

 

3.1. Résistance intrinsèque (constitutive ou induite)

On appelle résistance intrinsèque une propriété de la cellule qui freine ou empêche l'infection ou la réplication du virus. Les cas les plus simples sont les cellules dépourvues de récepteur à un virus donné ou, par exemple les globules rouges (dépourvus de noyaux), qui ne permettent pas la réplication de virus à ADN. (Fig. II.1.6).

Certaines cellules expriment des protéines qui répriment la réplication de virus spécifiques. Par exemple, les lymphocytes T de singe Rhésus expriment une protéine appelée Trim5a, qui inhibe les premières étapes de l'infection de la cellule par le virus du Sida (HIV). On pense qu'il y aurait une interaction entre Trim5a et la nucléocapside virale qui empêcherait la décapsidation et la rétrotranscription.

3.2. PBodies et granules de stress

Une cellule infectée peut, suite au stress lié à l'infection, enclencher différents programmes de défense intracellulaire menant à la compaction, sous forme d'agregats, d'ARNs messagers dont la traduction est bloquée.

Les ARNm sont alors rassemblés dans des complexes cytoplasmiques spécialisés appelés "granules de stress" et "PBodies (Processing Bodies)". Les granules de stress sont des complexes protéiques qui se forment et séquestrent les ARNm et les composants du système de traduction, en les maintenant temporairement dans un état inactif. La formation de ces complexes est notamment initiée par des kinases comme PKR ou PERK qui phosphorylent le facteur de traduction eIF2a, et bloquent ainsi l'initiation de la traduction des ARNm. Ce phénomène est réversible. Les PBodies sont des structures similaires qui assurent la dégradation progressive des ARNm. (Fig. II.1.7).

Granules de stress

II.1.7. Granules de stress.

Marquage, en immunofluorescence, du facteur de traduction eIF3, localisé de manière diffuse dans le cytoplasme de cellules non-infectées (gauche) et accumulé dans les granules de stress dans des cellules infectées par certains virus (droite).

Résistance intrinsèque.

II.1.6. Résistance intrinsèque.
 

Exemple de résistance intrinsèque: les lymphocytes B résistent à l'infection par le virus du SIDA car ils ne possèdent pas le récepteur CD4. Par contre, les lymphocytes T auxiliaires (CD4+) expriment ce récepteur. Les lymphocytes T auxiliaires humains (en dessous) sont sensibles à l'infection virale. Par contre, les lymphocytes T auxiliaires du singe rhésus, résistent à l'infection car il expriment la protéine Trim5a qui interfère avec la nucléocapside du virus.

 

3.3. RNAi et silencing

L'interférence à ARN (RNAi: "RNA interference") est un ensemble de processus basés sur l'activité d'ARNs de petite taille appelés micro-ARNs (miRNA) ou "silencer RNA" (siRNA) qui peuvent, par complémentarité de séquence nucléotidique, bloquer la traduction d'ARN messagers spécifiques ou entraîner leur dégradation. Ce processus implique généralement la formation de "PBodies". (Figure II.1.8)
Les miRNA sont des molécules d'ARN exprimées dans la plupart des cellules. Plus de 400 miRNA distincts ont été identifiés chez l'homme. Ils participent à des fonctions physiologiques comme le développement embryonnaire et la différenciation cellulaire.
Dans la mesure où leur action est spécifique d'une séquence donnée, on pense qu'ils sont susceptibles d'interagir avec les ARNm produits par les virus à ADN ou avec les ARN génomiques ou messagers des virus à ARN. On sait, par exemple, que le microRNA miR122 facilite la réplication du virus de l'hépatite C dans les cellules hépatiques. On sait aussi que les microRNA cellulaires peuvent fortement inhiber la réplication de virus à ARN dans lesquels une séquence cible des miRNA a été insérée.

 

Interférence à ARN

 

II.1.8. Interférence à ARN.

1. Transcription (généralement par l'ARN pol II) d'un pri-miRNA (primary miRNA): ARN comportant une séquence d'environ 60-70 nt formant une structure tige boucle. Ce pri-miRNA peut contenir une ou plusieurs de ces séquences "tiges boucles" destinées à devenir des miRNA. Il peut aussi s'agir d'un ARNm classique comportant le futur miRNA dans un intron.

2. Clivage de la structure tige-boucle pour former un "pré-miRNA" par un complexe nucléaire impliquant une endonucléase de la famille Drosha.

3. Exportation du pré-miRNA du noyau vers le cytoplasme, par l'exportine 5.

4. Clivage du pré-miRNA par un complexe impliquant la nucléase DICER. Ce clivage libère un miRNA: ARN double brin ("brin passager" et "brin guide") d'environ 21 pb, comportant des extrémités 3'-OH en extension, de 2 nucléotides.

5. Enfin, un complexe nommé RISC, comportant des enzymes de la famille "argonaute" (Ago), dégrade le brin "passager" de l'ARN double brin, en maintenant le brin "guide".

6. Le brin guide maintenu dans le complexe RISC est alors hybridé par complémentarité de séquence, à un ARNm cible. La séquence ciblée par le miRNA est le plus souvent une séquence présente dans la partie 3' non-codante de l'ARNm.

7. L'appariement du brin guide du miRNA à l'ARNm cible entraîne l'acheminement de ces ARNm vers des stuctures cellulaires de types "P-Bodies" où ils seront dégradés ou vers les "granules de stress" où ils subissent l'inhibition de la traduction. En cas de complémentarité totale du miRNA et de l'ARNm cible, il y aura plutôt dégradation. En cas de complémentarité partielle, on assistera plutôt à l'inhibition de la traduction.

 

3.4. Mort cellulaire et autophagie (apoptose - autophagie - nécrose)

Suite à un stress ou une infection, la cellule peut subir des dommages qui mènent à sa mort de manière non-contrôlée. On parle alors de nécrose. La cellule peut parfois réagir en enclenchant un programme de suicide cellulaire bien régulier appelé apoptose. Lors d'une carence en nutriments ou suite à un stress moins important, la cellule peut entreprendre un cycle de dégradation de portions de son cytoplasme. Ce dernier mécanisme est appelé autophagie. (Fig. II.1.9).

Mort cellulaire et autophagie

II.1.9. Mort cellulaire et autophagie.

 

Les deux types de mort cellulaire "classiques" sont la nécrose et l'apoptose.

La nécrose est considérée comme une mort passive, qui se termine par la lyse cellulaire et la dispersion du contenu de la cellule dans le milieu extracellulaire. Certains composants de la cellule comme la protéine HMGB1 ou l'ATP recrutent alors les cellules inflammatoires.

L'apoptose est un processus de mort cellulaire actif et rapide. Le noyau cellulaire, puis le cytoplasme, sont segmentés. Il y a production de fragments cellulaires, temporairement entrourés de la membrane plasmique, appelés "corps apoptotiques".

L'autophagie est un processus activé par certains stress cellulaires, notamment par une carence en nutriments. L'autophagie consiste en la dégradation d'une partie du contenu cytoplasmique en vue d'un recyclage de certains éléments de base (acides aminés etc.). Dans les cas sévères, l'autophagie peut évoluer vers l'apoptose.

Apoptose: Un moyen simple et efficace de lutter contre une infection virale à l'échelle cellulaire est le suicide cellulaire appelé "apoptose" ou mort cellulaire programmée. Le mécanisme de l'apoptose met en oeuvre une cascade de réactions assurées par des facteurs présents à l'état latent dans les cellules. Parmi ces acteurs, les caspases (protéases) jouent un rôle important en assurant une cascade ordonnée d'événements protéolytiques. On note aussi l'activation de nucléases qui coupent l'ADN chromosomique au niveau des nucléosomes en formant ainsi une échelle caractéristique de segments d'ADN de tailles multiples d'environ 200 nucléotides. Une autre caractéristique de l'apoptose est la segmentation du noyau cellulaire puis de la cellule elle même (Fig. II.1.10 apoptose).
L'apoptose est un processus physiologique qui permet notamment l'élimination de nombreux neurones au cours de l'embryogenèse et l'élimination de lymphocytes autoréactifs dans le thymus. Pour ces cellules non-infectées, l'apoptose est un processus non-inflammatoire.

Le fait que tous les acteurs de l'apoptose soient présents à l'état latent dans la cellule permet que le processus soit très rapide (< 2 heures). Suite à une infection virale, une cellule peut déclencher un processus d'apoptose de sorte que la cellule meure avant que le virus n'ait pu réaliser son cycle de réplication. Il s'agit donc d'un processus très efficace pour limiter la dispersion des virus. Il s'agit d'un processus altruiste à l'échelle cellulaire: la cellule se suicide pour protéger les cellules voisines.

On oppose souvent le processus d'apoptose au processus de nécrose. La nécrose est un processus de mort cellulaire plus hétérogène et moins contrôlé, ce que l'on peut concevoir comme mort cellulaire "normale". La nécrose se solde par une lyse de la membrane plasmique et la dispersion du contenu cellulaire.

 

Apoptose: cascade de réactions impliquées dans le déclenchement de l'apoptose.

II.1.10. Apoptose: cascade de réactions impliquées dans le déclenchement de l'apoptose.Il existe deux voies principales du déclenchement de l'apoptose:

1) la voie "extrinsèque" qui passe par la détection de ligands (TNFa, FAS-ligand, etc) par les récepteurs correspondants (TNFR, FAS, etc), qui activent à leur tour, via des molécules adaptatrices, certaines protéases de la famille des caspases. La caspase 8 clive la protéine Bid pour fournir le fragment "T-bid", qui interagit avec la mitochondrie et induit la libération du cytochrome c. Celui-ci, via la protéine APAF-1, active d'autres caspases ("caspases effectrices" – p. Ex. caspases 3 et 9) qui conduisent à la segmentation du contenu cellulaire et à la dégradation d'une série de protéines. L'ADN est dégradé par une nucléase, au niveau des nucléosomes. Le noyau est segmenté, puis la cellule elle-même est segmentée en "corps apoptotiques", temporairement délimités par des segments de membrane plasmique. La membrane plasmique des cellules apoptotiques subit des réarrangements qui mènent à l'exposition extracellulaires de certains phospholipides comme la phosphatidyl-sérine (détectable par l'annexine V), qui sont habituellement confinés du côté intracellulaire.

2) la voie "intrinsèque" est activée par un stress cellulaire comme l'altération du génome ou une infection virale. Cette voie passe également par la mitochondrie et la libération de cytochrome C. Les étapes suivantes sont semblables à celles de la voie extrinsèque.
 

L'apoptose est régulée par l'équilibre existant entre protéines "pro-apoptotiques" (comme Bax, Bak, ...) et protéines "anti-apoptotiques" (comme Bcl-2, Bcl-XL,...), qui agissent au niveau de la mitochondrie.
NB. Dans certains cas, il existe des voies variantes n'impliquant pas la mitochondrie.

Autophagie: Lorsqu'une cellule subit une carence en éléments nutritifs ou en facteurs de croissance, elle peut initier un processus de destruction/recyclage local, intracytoplasmique, appelé "autophagie". Ainsi, la destruction d'organites, la dégradation de protéines et d'acides nucléiques permet de récupérer certains composés de base du métabolisme comme des acides aminés, des bases, etc. (Fig. II.1.11). L'autophagie peut aussi survenir suite à un stress comme une infection virale. Elle est considérée comme un moyen limité de contrecarrer la réplication de certains virus, en les englobant dans les structures à dégrader. Il semble que, dans certains types de cellules, l'autophagie permette aussi d'activer la réponse immunitaire acquise, en assurant la récupération intracellulaire d'antigènes viraux et leur présentation sur les molécules HLA.
Lorsque l'autophagie est induite à un point irréversible, elle peut se transformer en processus apoptotique.

Autophagie

II.1.11. Autophagie.

 L'autophagie est enclenchée par l'activation de protéines comme Beclin-1 par un stress (notamment une infection virale, une carence en nutriments, un stress...). Le processus est assuré et contrôlé par un ensemble de protéines codées par les gènes atg. Il y a formation d'une double membrane qui emprisonne une partie du contenu cytoplasmique –y compris certains organites et/ou des virus. Les vésicules formées fusionnent avec des lysosomes ce qui entraîne la dégradation du contenu de la vésicule, et le recyclage de certains éléments.
Notamment, ce processus peut permettre la présentation sur les molécules du complexe d'histocompatibilité, d'antigènes qui ont été inclus dans les vésicules d'autophagie.

3.5. Les systèmes interférons (IFNs) de type I et de type III

Les interférons de type I, aussi appelés IFN-α/β, forment une famille de cytokines qui jouent un rôle majeur dans le contrôle de l'infection virale. Le rôle incontournable de l'interféron sur les infections virales est illustré par la sensibilité extrême de souris dépourvues de récepteur aux IFNs de type I, face à l'infection par divers virus (Fig II.1.12). Chez l'homme, le rôle majeur de l'IFN est illustré par le fait que des mutations de la voie IFN aient été identifiées dans le génome de nouveaux-nés morts d'encéphalites virales fulminantes.

Importance du système interféron

II.1.12. Importance du système interféron.
La photo montre la détection d'une protéine de capside du virus de Theiler par immunofluorescence indirecte (en rouge) dans le système nerveux d'une souris dépourvue de système de récepteur aux interférons. On note la propagation massive du virus dans certaines zones.

 

La réponse IFN est un système à deux composants: Elle implique, d'une part, la production d'IFN par une cellule ayant détecté la présence d'une infection, via des protéines "senseurs", et, d'autre part, une série de cellules qui répondent à la présence de l'interféron, suite à la fixation de celui-ci sur un récepteur spécifique. Le traitement de cellules par l'IFN induit l'expression de plusieurs centaines de gènes (ISG pour "IFN stimulated genes") dont les produits sont impliqués dans la résistance des cellules à l'infection virale mais aussi dans la modulation de la réponse immunitaire systémique et dans la croissance cellulaire (Fig II.1.13)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les interférons de type III ou IFN-λ, ont été découverts récemment. Bien qu'ils interagissent avec un récepteur différent de celui des IFNs de type I, ils induisent une cascade de signalisation très semblable à celle des IFNs de type I et stimulent l'expression des mêmes ISGs. La spécificité de la réponse aux IFN-λ proviendrait de l'expression différentielle de leur récepteur. Alors que la quasi-totalité des cellules expriment le récepteur aux IFNs de type I, l'expression du récepteur à l'IFN-λ semble principalement restreinte aux cellules épithéliales de l'organisme (Fig II.1.14 Photo réponse IFN dans épithélium). L'IFN-λ serait donc essentiellement impliqué dans la défense des épithéliums contre l'entrée des virus.

 

 

 

 

 

 

 

Réponse IFN.

 II.1.13. Réponse IFN.

Réponse des épithéliums à l'IFN-λ

II.1.14. Réponse des épithéliums à l'IFN-λ.

Micrographie d'un épithélium urinaire murin montrant la détection de la protéine Mx1 suite au traitement à l'IFN-λ.

 

 

 

4. Contre-mesures virales

Vu la rapidité de la réplication des virus, leur génome évolue beaucoup plus rapidement que le génome de leur hôte. Les virus s'adaptent constamment aux défenses mises en place par l'organisme. Les défenses mises en place par les virus peuvent être globales ou spécifiquement dirigées contre un mécanisme de défense de l'hôte.

On peut citer le cas de nombreuses protéines virales qui inhibent de manière non-spécifique l'expression de protéines cellulaires, en inhibant soit la transcription, soit la traduction. Parmi les défenses spécifiques, il est remarquable que la majorité des virus animaux/humains codent pour des protéines qui interfèrent avec le processus d'apoptose ou avec la voie interféron. Ceci souligne l'importance de ces 2 mécanismes dans la défense de l'organisme face aux infections virales.

Exemples de contre-mesures virales :
 

Globales:

- shut-off de la transcription, de l'épissage ou de la traduction : permet de détourner la machinerie cellulaire au profit de la réplication virale et d'empêcher la production de signaux de défense (IFNs) par les cellules infectées.

- interférence avec le traffic nucléo-cytoplasmique : permet au virus de recruter certains composants d'un autre compartiment cellulaire et aussi d'inhiber la régulation d'une série de systèmes de défense cellulaires.

- interférence avec les voies de sécrétion des protéines : permet au virus d'inhiber la sécrétion de cytokines et chimiokines, impliquées dans la stimulation du système immunitaire.

Spécifiques:

- protéines anti-apoptotiques : la plupart des virus à ADN et certains virus à ARN codent pour une protéine qui module le timing de l'apoptose cellulaire, soit en la retardant, soit en l'activant.

- inhibition de la production et de la réponse IFN : quasi tous les virus animaux produisent au moins une protéine destinée à antagoniser la production d'IFN ou la réponse à cette cytokine.

- inhibiteurs de silencing produits par de nombreux virus de plantes.