Lorsque nous considérons une population de virus, nous avons généralement à faire à un groupe de virus avec une certaine hétérogénéité. Il s’agit en effet de milliards d’individus qui peuvent avoir évolué de façon différente. Tous ne seront pas identiques du point de vue génétique, même à l’intérieur d’un même hôte. Les mécanismes principaux qui entraînent des modifications génétiques chez les virus sont la mutation, la recombinaison et une variante de celle-ci, le réassortiment. Par ailleurs, au cours de leur évolution, des virus peuvent perdre certains éléments génétiques (délétion) ou au contraire en acquérir, par exemple à partir d’une cellule (insertion). Des phénomènes d’inversion et de répétition de certains fragments génomiques participent également à l’évolution des virus.
Dans toute chaîne d’acides nucléiques, des erreurs peuvent survenir lors de la transcription, entraînant un changement de l’information génétique (mutation). Ce phénomène ne survient donc que chez des virus en réplication.
De façon générale, la survenue de ces mutations est plus fréquente chez les virus à ARN. Les polymérases auxquelles ils font appel (polymérases ARN-dépendantes) n’ont en effet pas de mécanismes correcteurs (activité exonucléase 3’-5’) à la différence des polymérases ADN-dépendantes qui doivent assurer la pérennité du code génétique.
Si une mutation est neutre ou même favorable, elle peut persister. Lorsqu'un nucléotide est substitué par un autre, on parle d’une mutation ponctuelle. Celle-ci peut être silencieuse lorsqu’elle n’entraîne pas de modifications au niveau de la chaîne d’acides aminés et n’affecte pas une séquence ou une structure des acides nucléiques importante à la réplication.
Lorsqu’une mutation d’une région codante se traduit par un changement d’acide aminé, celui-ci peut être délétère, conférer un avantage au virus ou encore ne pas avoir d’incidence. Si la mutation favorise le virus parce qu’il est mieux adapté aux circonstances extérieures, le mutant va progressivement prendre le dessus sur le virus d’origine. Les facteurs externes qui entraînent une sélection peuvent être le système immunitaire, le changement de milieu qu'engendre un nouvel hôte ou des médicaments antiviraux. Lorsqu'à l’intérieur d’un même hôte se développe une population variée de différents virus mutants, on parle de « quasi-espèce ».
Pour distinguer les différents mutants, on peut avoir recours au clonage, qui permet de les individualiser. Si on fait un séquençage nucléotidique global, on obtiendra une séquence consensus, qui est constituée d’un mélange des différentes séquences dominantes dans la population virale. Le phénomène de quasi-espèce permet au virus de s’adapter rapidement à des circonstances changeantes. C’est ainsi que dans l’infection par le virus du SIDA (HIV/VIH) ou le virus de l’hépatite C, le virus parviendra à échapper continuellement au système immunitaire et à établir une infection chronique. L’existence de quasi-espèce dans le cas du VIH entraîne une grande plasticité du virus, qui échappe rapidement au traitement lorsque celui-ci présente des défaillances.
Au niveau de la population mondiale, on voit que ces évolutions progressives entraînent des ensembles de virus qu’on peut différencier du point de vue génétique sous forme de différents génotypes, éventuellement regroupés en génogroupes.
Un phénomène particulier est celui observé avec le virus de la grippe chez l’homme (influenza). Sous la pression immunitaire de la population humaine mondiale, le virus évolue en accumulant progressivement des mutations, ce qui entraîne un glissement antigénique ou « drift ». Cela lui permettra de retrouver périodiquement une population humaine non immunisée contre le virus mutant présent. C’est la raison pour laquelle les vaccins contre le virus de la grippe doivent être adaptés chaque année.
Des virus semblables peuvent échanger des régions génétiques homologues (et parfois non homologues) lors de l’infection d’une même cellule. La polymérase passera d’un brin à l’autre au cours de la réplication. Cela peut être favorisé, par exemple par la présence simultanée de deux exemplaires du génome comme on l’observe dans le VIH (virus diploïde). Ce phénomène permet au virus de se modifier rapidement. Le VIH a au cours de son évolution donné lieu à de nombreux sous-types. Dans les populations humaines où il y a une forte transmission de ce virus, les infections mixtes avec plusieurs sous-types ne sont pas rares et des formes recombinantes avec des caractéristiques de deux virus « parents » ont émergé.
Une forme particulière est le réassortiment, qui peut survenir lorsque le génome du virus est segmenté, comme cela est le cas dans le virus de la grippe, influenza. Le virus influenza A est à l’origine un virus d’oiseaux aquatiques et dans ces espèces de nombreux types différents de ce virus sont présents. Dans de rares cas, des infections mixtes peuvent survenir en impliquant par exemple un virus d’oiseau et un virus humain. Lorsque cela survient, les segments des virus, qui sont au nombre de huit, peuvent se mélanger et donner lieu à de nombreux variants. Les virus issus de ces infections mixtes présentent des combinaisons variées de segments provenant des deux virus d’origine (voir figure)(théoriquement 28 = 256 possibilités de combinaisons). Il est possible qu’un de ces nouveaux virus soit particulièrement adapté à l’hôte humain et donne lieu à ce qu’on appelle une pandémie grippale, c.à.d. une expansion rapide du virus dans la population humaine non immune à ce nouveau virus. Des réassortiments avec des conséquences moins importantes existent également : récemment on a décrit un virus influenza A H1N2 (hémagglutinine 1, neuraminidase 2) qui est un virus réassorti à partir des deux types circulant d’influenza A, H1N1 et H3N2.
La mutation de substitution est le remplacement d’un nucléotide par un autre. Ces mutations peuvent être 1) des transitions, où une purine remplace une purine (A ou G) ou une pyrimidine une pyrimidine (C ou T/U), ou 2) des transversions où l’échange se passe entre purine et pyrimidine. Ces dernières surviennent moins souvent.
Lorsqu’une mutation se produit dans une partie codante du génome, il n’y a pas toujours un changement correspondant d’acide aminé. Le code génétique donne des combinaisons de trois nucléotides (= codon) codant pour un acide aminé (voir tableau). Comme il y a 4 nucléotides différents, cela offre 64 combinaisons possibles, mais il n’y a que 20 acides aminés naturels. Pour le même acide aminé il y a donc différents codons possibles (jusqu’à 6). Lors d’un changement du troisième nucléotide dans un triplet, il y a peu de chances de changement d’acide aminé, alors que les changements du premier ou deuxième nucléotide entraînent presque toujours une modification.
En cliquant les lettres successives d'un triplet du code génétique, faites apparaître l'acide aminé concerné. Ensuite la modification d'une des bases vous permet de voir si cela entraîne une modification d'acide aminé correspondant.
Lorsque nous avons à faire à une quasi-espèce, nous sommes en présence d’un nuage de mutants, c.à.d. composé de virus aux codes génétiques différents. Un séquençage (la définition de la séquence des nucléotides) global nous donnera une idée fausse des mutants présents ou ne nous permettra pas de conclure. Soit les différents variants sont présents en quantité trop faible (moins de 20%) et nous ne les détecterons pas, soit il y aura confusion sur les codons.
Supposons qu’un séquençage global nous indique qu’il y a un mélange, par exemple : T, T ou G, T ou G. Les codons possibles sont TTT (codant pour la phénylalanine), TGG (tryptophane), TTG (leucine), TGT (cystéine), sans que nous puissions savoir ce qui est réellement présent.
Pour définir clairement la population on analysera séparément les différents mutants en les clonant (en introduisant les gènes viraux dans des bactéries, par l’intermédiaire de phages ou de plasmides, on parvient à séparer les génomes en séparant les bactéries qui les contiennent).
I.6.2. Réassortiment génétique des virus
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