Classification
Autrefois, les polyomavirus et les papillomavirus étaient regroupés en une famille unique nommée Papovaviridae (nom qui regroupe le début du nom de chaque membre). Ces deux groupes ont été séparés en deux familles distinctes : les Polyomaviridae et les Papillomaviridae.
Les Polyomaviridae (ou polyomavirus) comprennent les virus humains JC et BK qui sont très répandus dans la population mais ne provoquent de pathologie que chez certains individus immunodéprimés. Chez des personnes immunodéprimées, suite à certains traitements (notamment le Natalizumab utilisé contre la sclérose en plaques) ou à l’infection par le virus du SIDA, le virus JC peut être à l'origine d’une infection grave de la substance blanche du système nerveux central : la leucoencéphalopathie multifocale progressive (PML ou LEMP). Le virus BK est responsable chez les malades immunodéprimés d’atteintes de l’appareil urinaire, en particulier de cystites hémorragiques chez les greffés de moelle et de sténoses urétérales ou d’insuffisances rénales par nécrose tubulaire chez les transplantés de rein.
Depuis quelques années, suite aux progrès du séquençage à haut débit, de « nouveaux » polyomavirus ont été détectés chez l’homme. Parmi ceux-ci, le « Merkel cell polyomavirus » (MCPyV) a été identifié comme l’agent responsable d’un type de cancer assez rare : le carcinome à cellules de Merkel.
Les représentants les mieux caractérisés des Polyomaviridae sont le virus du polyome de la souris, découvert en 1953 par sa capacité d'induire des cancers (« omes ») divers (« poly ») chez la souris, et le virus simien 40, SV40 (Simian Virus 40) découvert dans les années 60 comme contaminant d'un lot de vaccins dirigés contre la poliomyélite (virus polio = picornavirus). Ce virus a été involontairement administré à des milliers de personnes sans évidence claire, jusqu’ici, qu’il ait été responsable de cancers ou d’autres pathologies chez l’homme.
1. Caractéristiques
Les polyomavirus sont des virus non-enveloppés dont le génome est une molécule d’ADN double brin circulaire d’environ 5000pb.
Le génome des Polyomaviridae est une molécule d'ADN bicaténaire circulaire d’environ 5000 pb (5243 pb pour SV40). Ce génome est associé à des histones et forme des structures en nucléosomes, d’où son appellation de « minichromosome ». Le génome comporte trois régions : une région précoce (transcrite rapidement après l’infection), une région tardive (transcrite en fin de cycle) et une région régulatrice, non-transcrite, qui comporte l’origine de réplication et des séquences régulatrices.
Figure SV40. 1$ Organisation du génome
Le génome du virus SV40 est une molécule d’ADN double brin circulaire d’environ 5 kb. Les ARNs transcrits à partir des promoteurs précoce et tardif subissent un épissage différentiel. Les introns sont indiqués par des lignes fines. Les cadres de lecture ouverts sont indiqués par des rectangles. Les lignes épaisses correspondent aux régions 5’ et 3’ non-codantes de l’ARNm. L’origine de réplication est indiquée par un triangle vert.
La capside a un diamètre de 45 nm environ et une symétrie icosaédrique. Bien que trois protéines interviennent dans la constitution de la capside (VP1, VP2 et VP3), la protéine VP1 à elle seule forme la surface de la capside. Lorsque le gène de cette protéine est exprimé dans E. coli, les protéines VP1 produites par la bactérie sont capables de s'auto-assembler pour former une capside d’apparence comparable à celle du virus sauvage. Dans cette capside, 360 protéines VP1 sont assemblées en 72 pentamères. Douze pentamères sont situés sur un axe de symétrie d’ordre 5 tandis que 60 pentamères sont centrés sur un axe de symétrie d’ordre 6. Dans la capside, la protéine VP1 peut interagir avec les protéines VP1 voisines, via 3 interfaces différentes. Ceci est rendu possible par le caractère flexible de l'extrémité C-terminale de cette protéine. Les protéines VP2 et VP3 sont localisées à la face interne des pentamères.
La protéine VP1 peut en outre subir des modifications post-traductionnelles, ce qui a pour effet de modifier son affinité pour différents récepteurs potentiels.
Fig SV40.2 $ Structure de la capside de SV40
Structure tridimensionnelle de la capside de SV40. On voit l’assemblage des protéines VP1.
Source : English Wikipedia, par Phoebus 87, CC BY-SA 3.0, (https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3072531).
2. Cycle viral
L'attachement du virus au récepteur cellulaire est médié par la protéine VP1. Plusieurs protéines, dont les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I (HLA-I) ont été proposées comme étant les récepteurs de SV40. Des études plus récentes suggèrent que les molécules HLA-I pourraient constituer un co-récepteur mais que le récepteur principal est le ganglioside ($ glossaire) GM1. Des gangliosides sont aussi utilisés comme récepteurs par d’autres virus de cette famille. Par exemple, le virus JC utilise les gangliosides GT1b, GD1b et GD2, tandis que le virus BK utilise les gangliosides GT1b et GD1b.
L'entrée du virus se fait par endocytose, probablement par la voie des caveolae plus souvent que celle des vésicules à clathrine. On ne sait pas exactement comment se produit la décapsidation. Après son transfert au réticulum endoplasmique où la décapsidation serait initiée, la capside chemine vers le noyau dans lequel l’ADN pénètre, peut-être temporairement associé à la protéine VP3 qui assurerait son adressage nucléaire. La transcription et la réplication du génome se déroulent dans le noyau et sont régulées par la région régulatrice non-transcrite.
La transcription du génome viral est entièrement due aux enzymes cellulaires. Cependant, le virus assure le contrôle de la transcription dans le temps. La transcription s'effectue en deux périodes distinctes : transcription précoce et transcription tardive. La réplication de l'ADN viral, également assurée par les enzymes cellulaires, intervient entre la transcription précoce et la transcription tardive. Les signaux gouvernant la réplication et la transcription du génome viral sont concentrés dans la région régulatrice d’environ 300pb. Cette région contient l'origine de réplication du virus ainsi que les promoteurs divergents de la transcription précoce et de la transcription tardive. Elle comporte aussi un élément activateur de transcription appelé enhancer ($ glossaire).
Figure SV40.3 ($) Région régulatrice
La région régulatrice, non-transcrite, du virus comporte le promoteur de transcription précoce avec son enhancer, le promoteur de transcription tardif, l’origine de réplication, et trois sites de fixation de la protéine virale T.
a. Transcription précoce: la transcription survient très tôt après l’entrée du génome viral dans le noyau. Cette transcription "précoce" est effectuée par l'ARN polymérase II cellulaire. Le promoteur comporte une boite TATA ainsi que trois séquences de 21 pb reconnues par le facteur de transcription ubiquitaire SP1. L'efficacité de la transcription est nettement accrue par la présence d'un "enhancer" ($ glossaire), une séquence sur laquelle se fixent une série d'activateurs de transcription cellulaires comme le facteur AP-1 (hétérodimère des proto-oncogènes Jun et Fos).
La région précoce code pour deux protéines dans le cas de SV40 et trois protéines dans le cas du virus du polyome : ce sont les antigènes T ("grand T") et t ("petit t") pour SV40; T, t et mt ("moyen t") pour le virus du polyome. Ces protéines sont produites par des ARNs messagers résultant de l'épissage alternatif d’un même ARN pré-messager.
Fig SV40.4 ($) Transcription précoce et épissage alternatif
L’ARN pré-messager issu de la transcription précoce subit un épissage différentiel, par utilisation alternative des sites donneurs d’épissage D1 et D2, et accepteurs d’épissage A1 et A2. Les protéines codées par les 3 ARNm matures (virus du polyome), t, mT et T, ont une partie N-terminale (J) commune. Les protéines indiquées en bleu moyen ou bleu foncé sont traduites par des phases de lecture différentes. Les codons « stop » utilisés dans les trois phases de lecture sont indiqués.
- l'antigène T joue un rôle majeur dans le contrôle de la transcription et de la réplication du génome viral ainsi que dans l'interférence du virus avec le cycle de la cellule hôte. Cette protéine est essentiellement nucléaire et contient à cet effet 1 (SV40) ou 2 (polyome) "signaux de localisation nucléaire" (NLS) ($ Glossaire). Il est intéressant de noter que la découverte des séquences NLS est due à l’identification d’une telle séquence dans la protéine T de SV40.
En se fixant, avec différentes affinités, sur trois séquences d’ADN de la région régulatrice du génome de SV40, la protéine T réprime la transcription précoce tandis qu'elle active la transcription tardive.
Un des 3 sites de liaison de T à l’ADN correspond à l’origine de réplication. En se liant à ce niveau, la protéine T qui possède une activité d'hélicase ($ Glossaire), initie la réplication du génome viral. Deux hexamères de T se fixent en orientations opposées sur l’origine de réplication et déroulent (séparent les 2 brins) l’ADN double brin, en progressant de manière divergente. Après l'étape d'initiation, les enzymes cellulaires sont capables de poursuivre seules la réplication de l’ADN.
Après la réplication du génome, l’antigène T joue le rôle de facteur de transcription pour stimuler la transcription tardive.
Enfin, la protéine T est capable de stimuler le cycle réplicatif de la cellule hôte. Ainsi, elle accroît la synthèse d’enzymes et de composants cellulaires impliqués dans la réplication de l'ADN, éléments qui seront détournés au profit du cycle viral.
Fig SV40.5 ($) La protéine T
La protéine T interagit avec de nombreuses protéines cellulaires. L’interaction du domaine J avec Hsc70 et Cul7 et du motif LXCXE avec p105Rb (ou les protéines apprentées p107 et p130) entraîne la dégradation de p105 et favorise la mitose cellulaire. Le motif LXCXE interagit également avec STING et inhibe ainsi la production d’IFN par la voie cGAS/STING. Le signal de localisation nucléaire NLS interagit avec une karyophérine. L’interaction à l’ADN par le domaine DBD (DNA-binding domain) permet le recrutement d’enzymes impliquées dans la réplication de l’ADN. Le domaine qui possède une activité enzymatique d’hélicase est aussi impliqué dans l’interaction avec p53 et certains co-activateurs de transcription. Le domaine C-terminal HR-AH interagit avec FAM111a qui participe au complexe de réplication cellulaire.
- l'antigène mt du virus polyome est principalement membranaire. Il intervient également dans le processus de transformation cellulaire par le virus. On sait que la protéine mt peut lier le proto-oncogène p60 c-src.
- l'antigène t a une localisation partiellement nucléaire et partiellement cytoplasmique. Cette protéine n'est pas indispensable au cycle viral, du moins dans certains types cellulaires. Elle contrôlerait l'accumulation de l'ADN viral au cours de la réplication. Cette protéine joue peut-être aussi un rôle dans l'activation du cycle cellulaire. Elle peut interférer avec l’activité de la phosphatase cellulaire PP2A, en se substituant à la sous-unité de cette phosphatase responsable de la spécificité du substrat. Elle peut ainsi détourner la phosphatase vers de nouveaux substrats.
b. réplication: La réplication du virus se déroule en phase S du cycle de la cellule infectée (c à d la phase de réplication du génome). Elle procède de façon bidirectionnelle ("réplication en théta") et démarre de la région régulatrice comprise entre les promoteurs précoces et tardifs. L'initiation de la réplication est due à l’activité d’hélicase de la protéine T.
Fig SV40.6 ($) La protéine T a une activité enzymatique d’hélicase
Deux hexamères de T se fixent en orientations opposées sur l’origine de réplication et déroulent (séparent les 2 brins) l’ADN double brin, en progressant de manière divergente.
c. transcription tardive: La transcription tardive débute après l'initiation de la synthèse de l'ADN viral. Le promoteur tardif ne contient pas de boîte TATA. La transcription des ARNm se produit dès lors à partir de points de départ légèrement variables. Par épissage différentiel, les ARNm tardifs produisent les trois protéines structurales du virus : VP1, VP2 et VP3.
L’ARN tardif génère également un micro-ARN. Celui-ci à une séquence complémentaire à l’ARNm qui code pour T et pourrait contribuer à inhiber l’expression des protéines précoces. Ce miRNA pourrait également agir sur certains ARNm cellulaires qui restent à identifier avec certitude et influencer ainsi la réponse au stress et la croissance cellulaire.
d. assemblage: L'ADN viral associé aux histones s'associe aux protéines de capside pour former un virion immature. Cette étape se déroule dans le noyau ce qui implique que les protéines constitutives de la capside comportent un signal de localisation nucléaire. La maturation du virion fait intervenir la perte d'une histone (H1). La cellule infectée peut produire 10 000 à 100 000 particules virales dont on estime que 10% sont infectieuses. In vitro, ces virus sont généralement libérés par lyse cellulaire.
3. Transformation cellulaire
Lorsqu'ils infectent des cellules non-permissives (cellules dans lesquelles ils ne peuvent induire leur cycle lytique), les virus SV40 et polyome peuvent provoquer l'immortalisation puis la transformation cellulaire. Les cellules "transformées" acquièrent une série de caractères qui les distinguent des cellules non-transformées (tableau $). Une série d’éléments suggèrent le rôle essentiel de T dans la transformation cellulaire (tableau pop-up).
Le mécanisme par lequel l'antigène T provoque la transformation cellulaire n'est pas parfaitement élucidé. L'activation du cycle cellulaire passe notamment par l'interférence de T avec des suppresseurs de tumeurs (ou« anti-oncogènes ») cellulaires. On sait en effet que la protéine T est capable de se fixer aux protéines p53 et p105 Rb de la cellule et d'induire leur dégradation ou d'interférer avec leur activité. Il est intéressant de noter que ces mêmes suppresseurs de tumeurs sont les cibles des protéines E6 et E7 des papillomavirus ($ lien vers E6 et E7 de papillomavirus).
Le fait que ces virus puissent transformer les cellules est probablement à mettre en parallèle avec le fait qu'ils dépendent entièrement du métabolisme cellulaire pour leur propre réplication. Ces virus ont donc développé des systèmes qui poussent la cellule infectée à se multiplier de façon à assurer l'entrée de la cellule en phase S, préalable à la réplication virale. On comprend qu'un tel mécanisme, un peu amplifié, aboutisse à la transformation cellulaire s’il survient dans une cellule infectée de manière abortive ou non-lytique.
Tableau : caractère des cellules transformées :
1. l'aptitude à se multiplier indéfiniment (immortalisation)
2. la possibilité d'atteindre une concentration de cellules plus élevée en culture.
3. une faible exigence en facteur de croissance (l'addition de 5 à 10% de sérum au milieu de culture n'est plus nécessaire)
4. la perte de l'inhibition de contact : les cellules normales qui poussent sur un support solide cessent de se diviser lorsqu'elles entrent en contact avec une cellule voisine de telle sorte qu'elles forment une seule couche qui recouvre toute la surface du support. Les cellules transformées sont capables de former des amas cellulaires suite à la perte de cette inhibition de contact.
5. la possibilité de se multiplier en l'absence de support solide, en milieu liquide ou dans une matrice d'agar.
6. les cellules transformées présentent des anomalies structurales, métaboliques et génomiques.
7. motilité : suite à certains remaniements du cytosquelette, les cellules transformées acquièrent généralement une plus grande faculté à se déplacer.
($Tableau pop-up)
Implication de T dans la transformation cellulaire
1. On peut transformer des cellules de singe par transfection de la région précoce, exprimant la protéine T du virus SV40.
2. L'antigène T est exprimé dans toutes les cellules qui ont été transformées par SV40
3. Lorsque des cellules sont infectées par le mutant thermosensible Ts-A de SV40, il est possible de sélectionner des cellules transformées en les faisant croître à 32°C en agar ou dans un milieu dépourvu de sérum. On n'obtient pas de cellules transformées lorsque la température de culture est de 40°C.
4. Les cellules transformées par le mutant Ts-A et sélectionnées par l'absence de sérum perdent leur caractère transformé si on les cultive à 40°C ce qui montre que l'activité de T est requise pour la transformation.
($Tableau pop-up)
Utilisation de SV40 en génie génétique
Vecteurs réplicatifs dans les cellules COS et 293T : On a exploité la capacité qu'a le virus SV40 de se répliquer sous forme d'épisome dans les cellules eucaryotes pour permettre la réplication de vecteurs (plasmides) d’expression dans les cellules eucaryotes. Ces vecteurs comportent l’origine de réplication de SV40 (ori SV40). Ils sont capables de se répliquer dans des cellules de mammifères qui expriment la protéine T, comme les cellules COS ou les cellules 293T.
Promoteur de transcription précoce : Le promoteur de transcription précoce de SV40 (avec l'enhancer) est régulièrement utilisé comme promoteur fort dans les vecteurs d'expression eucaryotes.
Immortalisation de cellules : L’expression stable de la protéine T, à partir de vecteurs plasmidiques ou viraux, permet d’immortaliser certaines cellules primaires et d'obtenir des lignées. Par exemple un variant thermosensible de la protéine T du virus polyoma a été utilisé pour l'obtention de lignées cellulaires à partir d'explants de souris transgéniques exprimant cette protéine T. Dans ce cas, la protéine T n'a aucun effet dans la souris puisqu'elle se trouve à température non-permissive. Par contre, les cellules d'explant primaire peuvent être cultivées à température permissive pour T (30°C) de façon à permettre leur immortalisation par cette protéine.