La famille des Picornaviridae ou picornavirus regroupe de nombreux petits virus à ARN (PICO = petit + RNA + VIRUS). Ce sont parmi les plus petits virus animaux décrits. Leur capside a un diamètre d'environ 30 nm et n'est pas entourée par une enveloppe.
Le picornavirus le mieux connu est le virus de la poliomyélite ou "virus polio" (PV). Il en existe trois sérotypes, appelés Mahoney (type I), Lansing (type II) et Leon (type III).
V.6.1. Représentation tridimensionnelle de la capside du virus polio de type 1.
(A) Représentation faisant apparaître les différentes protéines de capside. VP1 (bleu), VP2 (vert), VP3 (rouge). VP4 n'est pas visible, étant à l'intérieur de la capside.
(B) Représentation montrant le relief de la capside (structures externes plus claires et régions profondes plus sombres) et faisant apparaître le canyon.
Illustrations fournies par Jean-Yves Sgro, d'après la structure déterminée par Hogle, Chow and Filman, (1985) Science 229: 1358-1365. Données de la banque PDB: 2PLV
Voir aussi le site web sur la structure des virus
Le génome du virus polio fut l'un des premiers à être séquencé complètement; c'est aussi le premier virus animal qui a pu être produit in vitro, à partir d'acides nucléiques de synthèse et d'un système de réplication acellulaire
Ce virus a donc servi de modèle pour comprendre les mécanismes de l'expression des gènes et de la réplication des virus apparentés.
Il est frappant de constater que les vaccins dirigés contre ce virus ont été développés avant même de connaître la séquence et de comprendre les bases moléculaires du fonctionnement du virus. Une vaste opération menée par l'OMS depuis 1988 à pour but d'éradiquer le virus polio.
Outre le virus polio, la famille des Picornaviridae compte de nombreux représentants. Les récents développements du séquençage à haut débit ont permis d'identifier de nouveaux membres de cette famille et suggèrent que de très nombreux virus apparentés restent à découvrir.
identification du virus: | 1908 | Landsteiner & Popper |
culture du virus sur cellules | 1949 | Enders |
vaccin inactivé | 1955 | Salk |
vaccin atténué | 1962 | Sabin |
séquence complète du génome | 1981 | Racaniello, Wimmer |
système de génétique inverse | 1981 | Racaniello |
structure 3-D de la capside | 1985 | Hogle |
réplication du virus en système acellulaire | 1995 | Barton, Flannegan |
obtention de virus in vitro à partir d'acides nucléiques synthétiques | 2002 | Wimmer |
Les picornavirus sont la cause de nombreuses pathologies humaines et vétérinaires. Ils sont actuellement (2010) classés en 12 genres mais leur classification évolue très rapidement, notamment suite à la découverte récente de nombreux génomes grâce à la métagénomique (séquençage à haut débit d'échantillons biologiques).
Parmi les picornavirus les mieux connus, on peut citer les trois virus polio (agent de la poliomyélite), le virus de l'hépatite A (HAV), les rhinovirus responsables d'affections respiratoires communes, ou encore le virus de la fiève aphteuse (FMDV - foot and mouth disease virus) qui peut poser d'énormes problèmes en médecine vétérinaire.
- Enterovirus : (virus polio, virus coxsackie A et B, échovirus) Les entérovirus infectent principalement le tractus digestif. Cependant, ils peuvent ensuite se propager à différents tissus et être la cause de pathologies très diverses: poliomyélite, encéphalites, méningites, myocardites, pneumonies, hépatites, ...
Depuis peu, les rhinovirus, qui étaient classés dans un genre séparé, ont été regroupés avec les entérovirus. Les rhinovirus doivent leur nom au fait qu'ils infectent essentiellement le tractus respiratoire supérieur. On en distingue plus de 100 sérotypes. Ils causent une bonne partie des rhumes chez les enfants et les adultes (il faut noter que des virus appartenant à d'autres familles peuvent également produire ce type de pathologie).
- Parechovirus : dans ce genre on dénombre deux espèces, Parechovirus et virus de Ljungan. Il y a au moins 8 génotypes de Parechovirus. Les pathologies dans lesquelles ils ont été décrits, sont semblables à celles causées par les Enterovirus. Le virus de Ljungan a été identifié d’abord chez des campagnols (Myodes glareolus). L’infection humaine par le virus de Ljungan a été proposée comme zoonose, associée au diabète et à des décès in utero.
- Aphthovirus : le virus de la fièvre aphteuse (FMDV pour "Foot and Mouth Disease Virus) est le principal représentant des aphthovirus. On en dénombre 7 sérotypes. Au sein d'un même sérotype, la variation entre isolats viraux est énorme: ce virus forme une quasi-espèce. Du fait de son taux de contagion énorme, le virus FMDV constitue un véritable fléau en médecine vétérinaire (environ 2 milliards de doses de vaccin contre ce virus sont administrées chaque année). Le virus FMDV peut infecter la plupart des animaux d'élevage: bétail, chèvres, moutons, porcs (exceptionnellement aussi l'homme). La fièvre aphteuse se caractérise par une période fébrile initiale suivie d'éruptions vésiculeuses, les aphtes siégeant principalement sur les onglons et la mamelle. L'infection s'accompagne de lésions de l'épiderme et du myocarde. Les effets sur l'élevage se traduisent par une perte de productivité générale (5% de mortalité, perte de poids...). A cause de son formidable pouvoir contagieux, (le virus pouvant être transporté dans l'air sur plus de 100 km), la stratégie de nombreux états pour tenter d'éradiquer le virus est (éventuellement en plus de la vaccination) de procéder à l'abattage systématique des troupeaux infectés.
- Cardiovirus : (virus de l'encéphalomyocardite, virus Mengo, virus de Theiler et virus Saffold). Le virus de l'encéphalomyocardite (EMCV) infecte les rongeurs, qui sont probablement les hôtes réservoirs naturels de ce virus. Il infecte régulièrement les élevages de porcs, en y provoquant pertes de croissance et avortements. Occasionnellement, il peut infecter des espèces aussi diverses que le lémurien, l'hippopotame, l'éléphant ou l'homme. Le virus Mengo est un variant du virus EMCV. Le virus de Theiler (TMEV) est un virus murin qui provoque une maladie démyélinisante du système nerveux central de la souris. Ce virus persiste dans le système nerveux en dépit d'une réponse immunitaire humorale et cellulaire dirigée contre lui. Le virus de Theiler provoque une pathologie rappelant par une série d'aspects la sclérose en plaque humaine et est considéré, à ce titre, comme un des modèles d'étude de cette maladie humaine dont l'étiologie reste inconnue.
Récemment, un cardiovirus fortement apparenté au virus de Theiler a été découvert chez l'homme: il a été nommé virus Saffold (SAFV) et forme, avec le virus de Theiler, la famille des Theilovirus. La séroprévalence de ce virus est importante à l'échelle mondiale. On ne sait cependant pas encore si ce virus est associé à une pathologie.
- Hepatovirus : le virus de l'hépatite A (HAV) se transmet essentiellement par voie orale. Il provoque chez l'homme des hépatites de gravité variable. Contrairement aux virus des hépatites B et C, le virus de l'hépatite A serait généralement complètement éliminé par le système immunitaire, empêchant ainsi l'apparition de maladies chroniques.
Capside : Les capsides de divers picornavirus ont pu être cristallisées. Leur structure 3D a été déterminée par diffraction des rayons X. La capside possède une symétrie icosaédrique comportant des axes de symétrie d'ordre 5, 3 et 2. (voir chap I.3.3 et lien icosaèdre sur wikipedia). Elle est composée de 60 copies de 4 protéines: VP1, VP2, VP3 et VP4. (Figure V.6.1.) La protéine VP4 est essentiellement localisée à la surface interne de la capside. Les trois autres protéines participent plus directement à la structure de la capside. Celle-ci est composée de 12 pentamères. Chaque pentamère est formé par la répétition (5X) d'un assemblage de VP1, VP2, VP3 et VP4. Les protéines VP1, VP2 et VP3 ont une structure assez similaire. Cependant, leur répartition dans la capside leur confère des situations très différentes. Les protéines VP1 sont regroupées autour des axes de symétrie d'ordre 5. Les protéines VP2 et VP3 alternent autour de l'axe de symétrie d'ordre 3. Pour la plupart des picornavirus, la protéine VP1 contient, d'une part, une partie importante du site de fixation au récepteur cellulaire et, d'autre part, certains sites antigéniques majeurs.
V.6.3. Structure de la capside
La capside des picornavirus possède une symétrie de type icosaédrique (un icosaèdre est un polyèdre régulier à 20 faces, caractérisé par la présence d'axes de symétrie d'ordre 5, 3 et 2). Dans la capside des picornavirus, chacune des 20 faces est subdivisée de sorte à obtenir 60 faces organisées en 12 pentamères. Chacune des 60 faces est formée par 3 protéines: VP1, VP2, et VP3. Une 4ème protéine, VP4, est localisée à la face interne de la capside. Elle est également présente à raison de 60 copies par capside. Les protéines VP1 sont concentrées autour de l'axe de symétrie d'ordre 5 (indiqué "5x"). Les protéines VP2 et VP3 alternent autour de l'axe de symétrie d'ordre 3 (indiqué "3x").
A droite: localisation du canyon présent dans la capside des Rhinovirus et poliovirus. Le canyon est une dépression formée essentiellement par la protéine VP1 autour de l'axe de symétrie d'ordre 5, au niveau de sa jonction avec les protéines VP2 et VP3.
Le "canyon" : Dans le cas du virus polio et des Rhinovirus, le site de fixation du récepteur se situe dans VP1, au fond d'une structure en creux (canyon) faisant le tour de l'axe de symétrie 5. De par leur épaisseur, les anticorps seraient incapables d'atteindre le fond du canyon. Par contre, les récepteurs du virus polio et des rhinovirus (CD155 et ICAM-1, respectivement), qui sont des molécules plus étroites, pourraient interagir avec le fond du canyon et permettre ainsi l'attachement et l'entrée du virus.
Des molécules antivirales ciblent le canyon du virus polio et des rhinovirus:
Certaines molécules antivirales ont précisément ce canyon pour cible. En allant se loger dans une pochette de la capside située sous le canyon, ces composés modifieraient localement la structure du virus et empêcheraient, soit la reconnaissance du récepteur, soit les changements de conformation nécessaires à la décapsidation du génome viral. Certains de ces composés sont également étudiés parce qu'ils confèrent au virus une certaine thermorésistance, une propriété précieuse dans l'optique du transport de souches vaccinales atténuées.
Il faut noter que la capside de tous les picornavirus ne possède pas de canyon. La capside des Cardiovirus ne possède qu'une faible dépression. Il semble, dans ce cas, que l'interaction avec le récepteur s'opère par des boucles protéiques exposées à la surface de la capside.
Génome : Le génome des picornavirus est une molécule d'ARN de polarité positive d'environ 8 kb. L'extrémité 5' de cette molécule ne possède pas de coiffe. A certaines étapes du cycle viral (encapsidation et réplication) ainsi que dans le virion, l'extrémité 5' est associée de façon covalente à la protéine virale 3B (appelée aussi VPg). L'extrémité 3' du génome comporte une queue de polyA qui fait constitutivement partie de ce génome, mais dont la longueur est régulée. Le génome comporte une région 5' non-codante de 600 à 1000 nucléotides, un long cadre ouvert de lecture d'environ 6000 à 7000 nucléotides et une courte région 3' non-codante.
Le génome viral peut se comporter comme un ARN messager et être traduit directement par les ribosomes cellulaires grâce à la présence d'un IRES (internal ribosome entry site) dans la région 5' non-codante.
V.6.4. Génome du virus polio
Le génome viral comporte, dans l'ordre: a) une région 5' non-codante (5'NC) comportant une structure en feuille de trèfle (près de l'extrémité 5') et l'IRES; b) Le cadre de lecture codant la polyprotéine virale, schématisé par un rectangle; et c) une région 3'NC qui se termine par une queue de polyA faisant constitutivement partie du génome viral. La petite protéine VPg (= protéine 3B) est liée de manière covalente à l'extrémité 5' du génome viral. La séquence CRE est une séquence d'ARN codante, formant une structure secondaire requise pour l'initiation du processus de réplication de l'ARN viral.
La reconnaissance du récepteur est assurée par la capside du virus. Pour certains picornavirus (virus polio), on pense que l'interaction avec le récepteur enclenche un processus d'endocytose et que l'injection du génome à travers la membrane cellulaire se produit très précocement lors de la formation de l'endosome. Pour d'autres (certains rhinovirus), la décapsidation survient nettement plus tard, induite par la baisse de pH de l'endosome. La décapsidation se produirait par une série de changements de conformation de la capside. Dans tous les cas, l'ARN viral est libéré dans le cytoplasme de la cellule.
V.6.5. Entrée du virus polio
Suite à la reconnaissance du récepteur cellulaire par la capside du virus (canyon pour polio et rhinovirus), la décapsidation survient, soit après endocytose (1), soit au niveau de la membrane plasmique de la cellule (2). Pour le virus polio, il semble que la décapsidation survienne entre ces 2 étapes, au tout début du processus d'endocytose. La capside subit une altération qui permet au génome d'être "injecté" dans le cytoplasme de la cellule.
La région 5' non-codante du génome des picornavirus comporte une région d'environ 500 nucléotides permettant le recrutement des ribosomes et l'initiation de la traduction au niveau d'un codon AUG, interne à la molécule d'ARN (il n'est pas le premier codon AUG de l'ARN). Cette région, appelée IRES (internal ribosome entry site) formerait une structure secondaire qui, en association avec des facteurs cellulaires fixés sur cette structure, assurerait une entrée interne du ribosome au niveau du codon d'initiation de la traduction.
V.6.6. Structure d'un IRES
A. Structure schématique de l'IRES du virus polio. Les structures en tige-boucle sont formées par appariement de nucléotides comme illustré en (B) dans la structure prédite d'une partie de l'IRES d'un picornavirus simien. Illustration extraite de Wu et al., BMC Bioinformatics 2009, 10:160doi:10.1186/1471-2105-10-160
La grande ORF de l'ARN viral est traduite sous forme d'un précurseur polypeptidique ("polyprotéine") de plus de 2000 acides aminés. Cette polyprotéine est découpée en ses différents constituants (11 ou 12 protéines) par différentes protéases virales (2A et 3C pour le virus polio). Les protéines VP1, VP2, VP3 et VP4 forment la capside du virus.
Chez les entérovirus, la protéine 2A est une protéase. Elle clive la polyprotéine au niveau de la jonction entre la protéine de capside VP1 et 2A elle-même. Ensuite, la protéase 3C clive les autres protéines, à l'exception de la protéine VP0, qui est scindée en VP4 et VP2 lors de la maturation de la capside, par une activité protéolitique non-identifiée.
La maturation de la polyprotéine diffère partiellement entre picornavirus. De plus, certains de ces virus codent une protéine supplémentaire, dérivée de l'extrémité N-terminale de la polyprotéine et appelée leader ou L.
V.6.8. Variation de la maturation de la polyprotéine pour différents picornavirus
Les entérovirus (et les rhinovirus) possèdent 2 protéases: 2A et 3C. Les cardiovirus possèdent une protéine leader ("L") à l'extrémité N-terminale de la polyprotéine. La maturation de la polyprotéine est assurée par une séquence protéique particulière de 2A (voir texte) à la jonction 2A/2B et par la protéase 3C. Chez les aphthovirus, la protéine L a en outre une activité de protéase qui lui permet de se séparer du reste de la polyprotéine. La maturation de la polyprotéine du virus de l'hépatite A est assurée par la protéase 3C.
La protéine 3B est la protéine VPg qui est fixée à l'extrémité 5' du génome. La protéine 3D est la polymérase responsable de la réplication de l'ARN viral. Les protéines 2B, 2C et 3A participent vraisemblablement à la formation et au fonctionnement du complexe de réplication de l'ARN. Leur rôle précis n'est pas connu.
La protéine L, exprimée par les Cardiovirus et les Aphthovirus, est une protéine non-structurale qui inhibe notamment la réponse interféron α/β de l'hôte.
V.6.7. Maturation de la polyprotéine du virus polio
Après la traduction de l'unique ORF, une polyprotéine d'environ 2000 acides aminés est formée. Un premier clivage est assuré par la protéase 2A, qui clive entre VP1 et 2A, séparant ainsi les protéines impliquées dans la formation de la capside et les protéines impliquées dans la réplication et l'interaction avec la cellule hôte. Les autres clivages sont assurés par la protéase 3C, à l'exception de la scission de VP0 en VP4 et VP2 qui est due à une activité protéolytique non-identifiée et survient au moment de l'encapsidation.
La réplication des picornavirus se déroule dans des structures membranaires dérivées du réticulum endoplasmique, de l'appareil de Golgi voire même de vésicules d'autophagie induites par le virus. La réplication est assurée par l'ARN-polymérase ARN-dépendante 3D, avec l'aide des autres protéines qui participent au complexe de réplication (2B, 2C, 3A, 3B, 3C + certains précurseurs comme 3AB ou 3CD). La réplication comporte la synthèse d'un brin d'ARN négatif à partir de la matrice positive et ensuite la synthèse de nombreux brins d'ARN + à partir de chaque molécule d'ARN - (rapport ARN+/ARN- = 60 à 100).
V.6.9. Réplication du génome des picornavirus
1) La polymérase uridyle la protéine VPg, en utilisant la séquence CRE comme matrice. Elle forme ainsi VPg-pUpU.
2) VPg-pUpU s'apparie à la séquence polyA et sert d'amorce à la synthèse du brin négatif.
3) le brin négatif sert ensuite de matrice pour la formation de nombreux brins positifs. Au cours de cette synthèse apparaît une structure appelée "intermédiaire de réplication" (RI) comportant de l'ARN partiellement sous forme de double brin.
Les molécules d'ARN synthétisées sont alors encapsidées et le virus est libéré par lyse des cellules infectées.
V.6.10. Cycle de réplication des picornavirus
Cliquez sur les différents chiffres pour voir le détail de la partie du cycle concerné.
Des particularités de l'expression des protéines des picornavirus, il découle que leur génome est infectieux.
En effet, d'une part le génome viral peut être directement reconnu par les ribosomes comme un ARN messager, et d'autre part toutes les protéines sont synthétisées à partir de ce messager. Après leur synthèse, ces protéines sont capables d'assurer la réplication du génome viral.
L'introduction de l'ARN viral "nu" dans une cellule suffit donc à enclencher le cycle de réplication du virus.
Cette propriété facilite énormément les manipulations génétiques des picornavirus. D'autre part, elle explique que la polymérase de ces virus n'a pas besoin d'être présente dans les virions.
Le génome viral est cloné sous forme de cDNA dans un plasmide, entre un promoteur de transcription du bactériophage T7 et un site de restriction unique. L'ADN plasmidique est linéarisé en le digérant par cette enzyme. Ensuite, l'ARN correspondant au génome viral est transcrit in vitro par la polymérase de T7, en présence de ribonucléotides tri-phosphates. L'ARN transcrit in vitro est ensuite introduit dans une cellule eucaryote par transfection. L'IRES se forme spontanément et permet la traduction de la polyprotéine virale par les ribosomes cellulaires. La polyprotéine est maturée et le cycle viral est enclenché. Après réplication et assemblage du virus, la cellule libère des particules virales infectieuses.
Certaines protéines non-structurales virales interagissent avec des facteurs de l'hôte pour favoriser la réplication du virus, sa dispersion de cellule à cellule ou sa transmission. Par exemple, la protéase 2A du virus polio a pour fonction primaire de cliver la polyprotéine virale entre VP1 et 2A. 2A clive également le facteur d'initiation de la traduction eIF4G de sorte que eIF4G perde la capacité de guider la petite sous-unité du ribosome vers la coiffe des ARNs messagers.
La protéase 2A peut aussi cliver certaines nucléoporines, qui assurent le transport de substances entre le noyau et le cytoplasme des cellules, au niveau des pores nucléaires. De cette manière, la protéine 2A peut perturber la production de signaux de stress des cellules comme les interférons ou d'autres cytokines, interférer avec le déclenchement de l'apoptose, ou encore détourner vers le cytoplasme des protéines nucléaires afin de les utiliser pour la réplication virale.
V.6.12. Shut-off de la synthèse des protéines cellulaires par la protéase 2A du virus polio
(dessus) La traduction des ARN messagers cellulaires fait intervenir le complexe d'initiation de la traduction représenté. La protéine eIF4G y joue un rôle d'échafaudage. La petite sous-unité du ribosome, associée au facteur eIF3, est recrutée par l'interaction de eIF3 avec eIF4G. Par ailleurs, eIF4E qui interagit aussi avec eIF4G, est la protéine qui assure la reconnaissance de la coiffe des ARNs messagers et permet donc la reconnaissance de ceux-ci par la petite sous-unité du ribosome. Celle-ci "scanne" alors l'ARNm à la recherche du codon d'initiation de la traduction.
(dessous) La protéase 2A du virus polio clive le facteur eIF4G, dissociant ainsi le complexe de reconnaissance de la coiffe (via eIF4E) et le complexe d'initiation de la traduction (ribosome + eIF4G/4B/4A). Ce dernier ne reconnaît donc plus les ARNm cellulaires mais conserve la capacité de reconnaître l'IRES du virus et d'initier la traduction du génome viral.
Les polymérases ARN-dépendantes ne possèdent pas d'activité de relecture (exonucléase 3'-5'). Dès lors, ces polymérases sont enclines à incorporer des nucléotides erronés au cours des cycles de réplication du génome. On estime le taux d'erreur de la polymérase du virus polio à environ 1 nucléotide sur 10 000 (soit presque une erreur par génome). La population de virus qui infecte un organisme correspond donc a une multitude de virus dont le génome varie très légèrement. Cette population hétérogène en terme de séquence nucléotidique forme ce que l'on nomme "quasi-espèce". Globalement, la séquence type du virus, autour de laquelle s'établit cette variation, change très peu.
Quasi-espèce : un taux de variation très adapté
Le taux des erreurs introduites par la polymérase semble être contrôlé de manière très stricte. On comprend que si ce taux d'erreur augmente de manière trop importante, les génomes qui sont produits au cours de la réplication risquent de ne plus être fonctionnels, ce qui peut mener à la perte du virus ("error catastrophy").
Un composé analogue de nucléotide (la ribavirine) s'est révélé pouvoir perturber l'activité de la polymérase du virus polio en augmentant le taux d'erreurs de celle-ci. Des virus résistants à la ribavirine ont fait apparaître une mutation de leur polymérase (G64S) qui rend cette polymérase plus "fidèle" (diminution du taux d'erreurs introduites par la polymérase). Curieusement, le virus muni de cette polymérase "plus fidèle" s'est avéré moins efficace que le virus sauvage pour produire une infection in vivo. Il semble donc exister, pour chaque virus, un optimum du nombre d'erreurs produites par la polymérase. Une certaine variation donne un avantage sélectif (adaptation aux conditions, échappement à la réponse immunitaire...). Une variation trop élevée du génome empêche son fonctionnement efficace.
Un des objectifs à court terme de l'OMS est d'éradiquer le virus de la poliomyélite, comme cela a été fait par le passé pour le virus de la variole. Il existe deux types de vaccins dirigés contre le virus polio: le vaccin "Salk" constitué d'un mélange des trois sérotypes de virus sauvages inactivés et le vaccin "Sabin" qui est un vaccin vivant atténué. Ce dernier comporte une souche de chacun des trois sérotypes de virus polio dont la virulence est atténuée par la présence de mutations ponctuelles dans le génome (notamment au niveau de l'IRES).
V.6.14. Développement du vaccin atténué "Sabin".
Pour chacun des trois sérotypes du virus polio, le virus a été passé successivement sur une série de cellules en culture in vitro (1 "passage" = infection de la culture puis récolte du virus après le cycle d'infection). Au terme de 40 à 70 passages, les mutations permettant au virus de s'adapter à la culture cellulaire modifient sa capacité à infecter l'homme et atténuent sa virulence.
V.6.15. Mutations présentes dans la souche atténuée Sabin 3
9 mutations de nucléotides sont apparues dans le génome du virus polio type 3 (Leon) lors de l'obtention du virus atténué "Sabin 3". L'analyse de virus recombinants formés par génétique inverse a montré que parmi ces 9 mutations, 2 sont principalement responsables de l'atténuation du virus: la mutation C->U en position 472, localisée dans l'IRES du virus et une mutation qui convertit la Serine 34 de la protéine de capside VP2 en Phénylalanine.
Le vaccin "Salk" a l'avantage de la sécurité mais il doit être administré à plusieurs reprises, par injection. Le vaccin "Sabin" a l'avantage de l'efficacité d'un vaccin vivant (une faible dose administrée une seule fois par voie orale suffit pour procurer une immunité durable). Néanmoins, une seule administration ne suffit pas toujours à générer une bonne immunité contre les trois sérotypes du virus présents dans le vaccin.
Un problème important lié à l'utilisation d'un vaccin vivant atténué (capable de se répliquer chez le sujet vacciné) est le fait que ce virus peut rapidement "réverter" et donner du virus sauvage qui est excrété par la personne vaccinée. Ceci peut entraîner une polyomyélite associée au vaccin (Vaccine Associated Paralytic Poliomyelitis ou VAPP) chez un contact non immun, dans une vaccination sur un million. Ce petit risque a entrainé le passage en l’an 2000 au vaccin Salk inactivé pour la vaccination systématique en Belgique, pays où la polyomyélite « sauvage » a disparu.
Une autre limite liée au vaccin atténué de type Sabin est l’existence de recombinants avec du virus sauvage, qui ont été la source de certaines épidémies. Il est donc probable qu’il faudra passer a du vaccin inactivé de type Salk en fin de campagne d’éradication.
Actuellement on se rend compte que dans les dernières régions affectées, le vaccin oral semble moins efficace, nécessitant souvent 5 doses pour arriver à une immunité satisfaisante. On envisage d’utiliser des vaccins monovalents, contenant soit le type 1 soit le type 3, pour augmenter l’efficacité des campagnes.
Lien vers le site internet de la campagne d'éradication
En cas d'éradication durable du virus, l'OMS entrevoit la possibilité d'arrêter la vaccination pour pouvoir porter ses efforts sur une autre pathologie. Cependant, l'arrêt de la vaccination pose de nombreuses questions quant à sa faisabilité.
Vu son très faible coût de production et l'excellente immunité qu'il engendre, le vaccin vivant atténué (Sabin) a été choisi pour la campagne d'éradication de l'OMS. Les facteurs qui permettent d'espérer l'éradication complète du virus sont les suivants :
La mise en oeuvre de la campagne d'éradication comporte :
Les résultats de cette campagne ont été remarquables: en dix ans, le nombre de cas de poliomyélites est passé de 35 000 (en 1988) à environ 5000 (1997). Depuis lors, le nombre de cas a encore fortement diminué pour se stabiliser aux environs de 1000 à 1500 cas par an ces dernières années. Apparemment le sérotype 2 du virus a déjà disparu.
Grâce à ces efforts déployés par l'OMS, plusieurs continents (Europe, Amérique) ont déjà pu être déclarés "dépourvus de virus polio", les régions où persistent des foyers d'infection correspondant essentiellement à des régions instables du point de vue politique (Inde, Pakistan, Nigeria, Afghanistan).