Tout comme les mammifères, les oiseaux ou encore les végétaux, les microorganismes tels que les bactéries ont aussi leurs prédateurs. Les virus infectant les bactéries ne diffèrent guère des virus ayant pour proie les organismes multicellulaires, si ce n'est que dans ce cas-ci ils sont appelés bactériophages ou simplement, phages. Ils ont eux aussi une capside protéique, un génome à ARN ou ADN, et parfois même une membrane lipidique. Une caractéristique qui par contre est propre à la majorité des bactériophages est la présence d'un appendice - tel que la gaine hélicoïdale du phage T4 - servant à injecter le génome viral dans la cellule cible.
Mais avant tout, les bactériophages se distinguent des autres groupes viraux par leur immense diversité, tant au niveau de leur morphologie que de la composition de leurs génomes. Les données actuelles indiquent en effet que les phages représentent le plus important réservoir de matériel génétique encore inconnu sur terre, l'eau de mer comptant à elle seule 107 particules par millilitre !
Dès leur découverte, les phages ont suscité beaucoup d’intérêt et de curiosité dans la communauté scientifique. Ces particules, faciles à manipuler en laboratoire, ont ainsi donné naissance à la biologie moléculaire telle qu’on la connaît aujourd’hui. Ceci fut réalisable grâce à la collaboration active entre scientifiques issus de domaines différents.
En 1943, le physicien Max Delbrück et le microbiologiste Salvador Luria utilisent des phages dans une expérience servant à investiguer les causes et la nature des mutations chez les bactéries. En bref, ils font croître une même souche bactérienne dans plusieurs tubes différents pendant plusieurs générations et étalent ensuite des volumes égaux, issus de chaque culture, sur du milieu contenant des phages. Le but est de compter le nombre de bactéries devenues résistantes au phage. Les deux scientifiques partent du principe que si la résistance est due à une réponse spontanée au phage, ils devraient compter le même nombre de bactéries par culture. Si la résistance a au contraire été acquise de façon aléatoire pendant la phase de croissance des bactéries, ils devraient observer un nombre variable de bactéries survivantes par culture. Or, ils observent de grandes différences dans le nombre de bactéries résistantes d’une culture à l’autre. C’est ainsi qu’ils arrivent à la conclusion que les mutations génétiques surviennent de manière aléatoire et ne sont pas induites par le milieu. En d’autres termes, ils confirment que la théorie de sélection naturelle décrite pour les organismes complexes, s’applique également aux bactéries.
Leur intérêt pour les phages est très vite partagé par Esther et Joshua Lederberg qui, dans les années 50, intensifient leurs recherches sur le transfert d’ADN entre bactéries. Ils découvrent notamment la transduction et expliquent l’importance des transferts de gènes dans l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques, mais aussi, en tant que mécanisme promouvant l’évolution rapide des microbes.
En 1952, Alfred Hershey et Martha Chase ont conduit une série d’expériences confirmant que l’ADN était bien le support de l’information génétique. Pour cela, ils se sont servis du phage T2 dont la structure était déjà connue à l’époque. Ils ont ainsi habilement marqué le phage au phosphore radioactif (32P), le phosphore étant un composant de l’ADN, mais uniquement présent à l’état de trace dans les protéines. L’infection de Escherichia coli par le phage T2 marqué a ainsi révélé que le traceur se retrouvait dans le culot des bactéries centrifugées et non dans le surnageant contenant les capsides virales vides. Au contraire, le phage T2 marqué au soufre 35S, le soufre étant contenu dans les acides aminés méthionine et cystéine, met en évidence les capsides virales contenues dans le surnageant. Ces expériences ont ainsi confirmé que l’information génétique était véhiculée par l’ADN, une démonstration de taille qui a permis bien d’autres études par la suite.
Une autre découverte de taille, faite par le biais des phages, fut celle des enzymes de restriction. En 1962, le microbiologiste suisse Werner Arber constate que certains phages sont modifiés par les bactéries qu'ils infectent. Il s'aperçoit que seuls les phages ayant subi la modification sont capables de se multiplier dans de nouvelles cellules. Les phages n'ayant pas été modifiés sont immédiatement restreints à l'infection suivante. Très vite, Arber découvre les enzymes responsables de cette « restriction » de l'ADN chez E. coli. Il explique le système de modification-restriction comme étant un système d'immunité contre l'invasion par de l'ADN étranger. La bactérie protège son génome en modifiant des nucléotides, en général par méthylation, dans des séquences reconnues par les enzymes de restriction. L'ADN étranger qui n'est pas méthylé sera reconnu par ces enzymes et dégradé en entrant dans la cellule. Les phages étant parvenus à se répliquer dans une cellule seront quant à eux méthylés et protégés lors de l'infection suivante.
La découverte des enzymes de restriction a révolutionné la biologie moléculaire en permettant de comparer des génomes par profil de restriction, mais surtout, en ouvrant la voie vers le clonage d'ADN.
En 1977, le biochimiste Frederick Sanger utilise un phage pour séquencer la première molécule d'ADN. Il choisit pour cela le phage phiX174 ayant un génome d'ADN simple brin et facilitant ainsi quelque peu le protocole. Il développe alors ce qu'on appelle encore aujourd'hui le « séquençage selon la méthode de Sanger » et permet de progresser à grands pas vers la génomique moderne.
C'est ainsi que progressivement, la recherche sur les phages, ou utilisant les phages comme outils, a mené aux conclusions et découvertes qui sont aujourd'hui les piliers de la génétique moderne.
V.4.2. Martha Chase et Alfred Hershey au colloque de Cold Spring Harbor en 1953. Photographiés par Karl Maramorosch.)
A. Hershey a reçu le prix Nobel de Médecine en 1969, un prix qu’il a partagé avec le physicien Max Delbrück et le microbiologiste Salvador Luria pour leur remarquable contribution à la recherche moléculaire. Cette attribution fut assez inhabituelle du fait qu’elle ne récompensa pas une découverte en soi, mais plutôt la stimulation de la communauté scientifique des années 50 et 60 que ces trois scientifiques ont suscitée.
Comme tout autre virus, les phages sont principalement composés d'acide nucléique et de protéines. En fonction du type de phage, le génome peut être de l'ADN ou de l'ARN, simple ou double brin. Certains phages ont des bases modifiées (e. g. méthylées), ce qui leur permet d'échapper habilement aux nucléases de l'hôte au moment de l'infection.
La taille de la capside est variable et généralement proportionnelle à la taille du génome qu'elle contient. Alors que les phages les plus simples peuvent ne codent pas plus de 10 protéines, d'autres peuvent aisément dépasser les 100 protéines. Ce chiffre est fonction de la complexité de la structure du phage, mais dépend aussi, comme il sera décrit plus loin, de la présence ou non de gènes non-essentiels au cycle du phage.
La capside du phage a pour rôle primaire de contenir et de protéger le génome viral. Sa géométrie peut être très variable et de nouvelles formes, souvent inattendues, sont constamment découvertes dans la nature.
A tel point que la classification des phages est devenue un réel problème pour les taxonomistes. Un système cohérent, tenant moins compte de la morphologie du phage, mais plutôt de la nature de l'acide nucléique et de la phylogénie des protéines encodées, est actuellement en cours d'élaboration. Cette tâche est compliquée par le fait que les phages ont des génomes organisés sous forme de modules, chaque module regroupant les fonctions servant à une même étape du cycle viral.
Une telle organisation favorise la recombinaison entre modules de phages distincts ou bien encore, entre gènes viraux et ADN de l'hôte. C'est pour cette raison qu'on qualifie la grande majorité des génomes de phages séquencés à ce jour de mosaïques. Lorsqu'on considère les fréquences élevées d'infection et de réplication, les phages sont sujets à une évolution rapide, avec un nombre de combinaisons de modules quasi illimité.
La grande majorité des phages ayant été visualisés en microscopie électronique possèdent un appendice en forme de tube (on parle de phages caudés), pouvant être rigide ou contractile, de taille variable et jouant un rôle déterminant dans l'infection de l'hôte. Alors qu'une gaine comme celle du phage T4 a pour fonction évidente de véhiculer le génome à l'intérieur de la cellule, les phages qui en sont dépourvus ont développé des mécanismes alternatifs pour infecter leur cible.
Malheureusement, ces derniers demeurent encore peu étudiés et les mécanismes impliqués ne sont que sommairement décrits.
La première étape de l’infection est une collision aléatoire avec la bactérie. Le phage adhère alors de façon réversible à des récepteurs spécifiques, exprimés à la surface cellulaire. Chez les phages caudés, ce sont les fibres basales qui sont responsables de cette reconnaissance. Les phages dépourvus de tube utilisent d’autres protéines de structure, souvent des composants des sommets de la capside, pour interagir avec le récepteur. La spécificité de l’hôte, c’est-à-dire la bactérie qu’un phage est capable d’infecter, dépend de la protéine virale qui interagit avec son récepteur respectif. Certains phages ont un large spectre d’hôte alors que d’autres, ne peuvent infecter qu’une seule espèce bactérienne. La nature du récepteur, quant à elle, est variable et il s’agit en général d’une protéine de surface, d’un lipopolysaccharide ou d’une lipoprotéine.
L’étape suivante est effectuée par un contact additionnel entre le phage et la surface cellulaire. Ce contact peut se faire par le biais d’un nouveau récepteur ou du même récepteur que précédemment. Il s’agit d’un lien fort et irréversible, impliquant un plus grand nombre de liaisons entre le virus et la cellule. Chez les phages à gaine par exemple, cet attachement supplémentaire se fait par le plateau de base.
Une fois ce lien irréversible établi, le phage enclenche l’injection du génome viral dans la bactérie. Le phage T4, par exemple, contracte sa gaine qu’il enfonce comme une aiguille jusque dans le cytoplasme de la cellule. Quant aux phages dépourvus de gaine, ils se servent d’autres structures de la capside pour infecter l’hôte. Une des rares familles pour lesquelles le processus ait été décrit est celle des Tectiviridae. Les tectivirus ont une capside en forme d’icosaèdre qui est dépourvue de tube. Par contre, ils possèdent une membrane lipidique interne qui au contact de l’hôte se projette à l’extérieur de la capside et sert de véhicule pour l’ADN. Il s’agit-là d’un mouvement complexe, impliquant plusieurs contacts entre protéines intégrées dans la membrane virale et la paroi de l’hôte.
La barrière constituée par la paroi cellulaire est un obstacle de taille, notamment chez les bactéries Gram-positives dont le peptidoglycan est particulièrement dense. Ainsi, certains phages ont intégré des enzymes dans leur capside leur permettant de digérer localement la paroi bactérienne. Ils ont de cette manière meilleur accès aux récepteurs sans endommager la cellule. Contrairement aux virus infectant les animaux, seul l’acide nucléique pénètre la bactérie, la capside et autres composants viraux restant à l’extérieur. Une exception est toutefois connue, celle des phages filamenteux. Comme décrit au point suivant, les protéines de capside de ces derniers sont ingénieusement recyclées au cours de l’infection.
On distingue à ce jour trois types de cycles infectieux chez les phages.
Les phages dits filamenteux (M13,fd, f1) se présentent comme de longs filaments formés essentiellement de la même espèce protéique. Lorsque l’acide nucléique (en général simple brin) est injecté dans la cellule cible, les protéines de capside sont insérées dans la membrane cytoplasmique de l’hôte. Les mécanismes moléculaires de cette étape demeurent encore inconnus, tout comme le rôle exact des protéines de l’hôte responsables de la dépolymérisation de la capside. On suppose qu’elles servent surtout à maintenir l’intégrité de la membrane cellulaire externe pendant l’injection du génome, puisque lorsqu’elles sont absentes, les cellules sont particulièrement fragiles au milieu extérieur. Une fois à l’intérieur de l’hôte, le génome est abondamment répliqué et les gènes nécessaires à la synthèse des protéines structurales sont exprimés. Ces protéines vont s’insérer à leur tour dans la membrane cytoplasmique et serviront, ensemble avec les protéines de structure insérées dans la membrane au cours de l’infection, à former les nouvelles capsides. Les phages sont alors sécrétés à travers la paroi cellulaire par un canal formé de trois espèces de protéines virales selon un processus consommant de l’ATP. Contrairement aux autres types de phages, les phages filamenteux ne tuent pas leur l’hôte, mais sont libérés au fur et à mesure qu’ils se répliquent. Cette intéressante caractéristique en fait des outils de choix en biologie moléculaire.
La méthode la plus courante, le "phage display", consiste à fusionner une protéine ou peptide d'intérêt à la protéine de capside du phage filamenteux. Exhibée à la surface du phage modifié, cette fusion permet l'étude d'interactions avec d'autres protéines ou ADN cibles. C'est une technique puissante qui est de plus en plus utilisée, souvent à l'échelle de banque génomique, afin de détecter de nouveaux ligands ou anticorps par exemple.
Le phage virulent, parfois aussi appelé « lytique », infecte sa cible et entame sa reproduction de suite en mobilisant les ressources de l’hôte en sa faveur. Les gènes viraux sont alors exprimés dans un ordre bien précis et étroitement régulé. Les premières protéines produites, les protéines précoces, sont responsables de la multiplication du phage et, dans de nombreux cas, interrompent la synthèse de protéines cellulaires. Certains phages virulents sont même capables de dégrader le génome de l’hôte et de monopoliser le métabolisme cellulaire pour leur seule reproduction.
Les protéines tardives sont essentiellement structurales et servent à assembler des capsides et à encapsider les nouveaux génomes. Une fois les nouvelles particules formées, un nombre qui varie largement en fonction du type de phage, la bactérie est lysée par des protéines virales qui dégradent la paroi cellulaire. Les virus ainsi libérés peuvent entamer un nouveau cycle d’infection.
Le bactériophage T4 fait partie d'un ensemble de phages, dits de type-T, initialement sélectionnés par Max Delbrück pour étudier les fondements de la réplication chez les virus. T4, de par sa complexité et son originalité, devint alors très vite l'outil de choix dans de nombreuses études moléculaires comme la recombinaison et la réparation de l'ADN, la transcription ou encore, l’excision des introns T4 infecte Escherichia coli en employant une stratégie qui laisse peu de chance de survie à sa proie. Dès l'injection du génome dans la cellule cible, la transcription des gènes de l'hôte est complètement bloquée et les ressources cellulaires sont habilement redirigées au profit de la multiplication exclusive de T4. T4 possède les enzymes nécessaires afin de modifier l'ARN polymérase de l'hôte, ainsi que certains facteurs de transcription qui y sont associés. Cette modification est essentielle à enclencher la transcription du génome de T4 même, car ce dernier contient de l'hydroxyméthylcytosine au lieu de la cytosine classique. De plus, cette modification permet au génome d'échapper aux mécanismes de restriction cellulaires et d'entamer de suite sa propre transcription et réplication. Singulièrement, T4 ne régule pas l'expression de ses gènes au niveau transcriptionnel (ou du moins, une telle régulation demeure encore inconnue), mais agit plutôt au moment de la traduction de l'ARN. T4 code pour des protéines qui se lient aux ARN messagers et de préférence, à des structures secondaires de ces derniers. En général, ces protéines régulent leur propre traduction. Ceci offre au phage la possibilité de finement réguler son cycle dans le temps, la terminaison de l'expression de certains gènes donnant suite à la production des fonctions nécessaires à l'étape suivante du cycle. Le génome de T4 étant très grand à l'échelle des phages (environ 170 kilobases), sa structure virale très complexe et son cycle court (moins de 30 minutes), on a tendance à désormais visualiser son développement comme un réseau de plusieurs fonctions qui se chevauchent et interagissent plutôt qu'une succession d'événements linéaires. Des études comparatives de plusieurs phages de type-T indiquent que ces derniers ont évolué par l'acquisition de gènes ou segments de gènes issus d'autres phages, de plasmides ou du génome de l'hôte et qu'ils sont encore fortement sujets à une pression sélective afin de coordonner au mieux leurs composants sous forme d'unité fonctionnelle. Après plusieurs décennies au service de la science, T4 n'a pas fini de surprendre et d'informer la communauté scientifique.
Alors que l'infection par un phage virulent conduit toujours à la mort cellulaire, le phage tempéré peut entrer en phase de dormance après avoir infecté l'hôte. Pendant cette phase, très peu de gènes viraux sont exprimés. Le génome dans son état dormant est appelé prophage car il n'est pas un phage actif, mais préserve toutefois le potentiel de produire des particules. Dans la plupart des cas, l'ADN viral s'intègre physiquement dans le génome de l'hôte et est copié avec l'ensemble du génome au fur et à mesure que les cellules se divisent. Cet état peut persister pendant plusieurs générations et la cellule hôte est alors dite lysogène. L'état quiescent est maintenu par un répresseur des fonctions lytiques. Il a pour rôle d'assurer la stabilité de l'état prophage et en même temps, de lui permettre d'entrer rapidement en phase active lorsque les circonstances le demandent. C'est le cas lorsque la bactérie est exposée à une carence ou un stress endommageant son intégrité par exemple. Le prophage sort alors de son état quiescent et active son cycle réplicatif à l'instar des phages virulents.
Certains phages tempérés peuvent coder pour des fonctions qui n'interviennent pas directement dans leur cycle infectieux. Ces gènes leur sont pourtant parfois favorables et le chapitre suivant l'illustre par quelques exemples.
Le phage lambda fut isolé en 1951 par Esther Lederberg et devint très vite le modèle d'étude qui a permis l'essor de la biologie moléculaire. Lambda infecte l'entérobactérie E. coli et comme bon nombre d'autres phages tempérés, il intègre le génome de l'hôte à un endroit bien défini du chromosome (entre les opérons de synthèse du galactose et de la biotine). Le système de régulation de lambda, notamment son passage en mode actif, est particulièrement bien documenté. Le répresseur du cycle lytique est inactivé en réponse aux traitements qui endommagent l'ADN (rayons ultraviolets, substances chimiques,…). Cette inactivation induit l'expression temporelle de tous les gènes nécessaires à la multiplication du phage et à la formation de nouvelles particules infectieuses. Le système est tel que lambda n'est induit que lorsque la cellule, et par conséquent lambda même, sont en danger. De nombreux processus cellulaires tels que la réplication, recombinaison et transcription – pour n'en citer que quelques-uns – ont été étudiés en utilisant lambda comme modèle de départ. Encore aujourd'hui, le phage lambda est une ressource importante dans de nombreuses applications comme par exemple, le développement de nouveaux vaccins ou encore, son utilisation en tant que vecteur de clonage.
Le développement de la génétique moderne et surtout les nombreux projets de séquençage de génomes bactériens témoignent de l'abondance de prophages intégrés dans les génomes, parfois représentant jusqu'à 20% du patrimoine de la bactérie.
Ces prophages peuvent se présenter sous au moins trois formes différentes :
Souvent, lorsque les génomes de souches d'une même espèce sont comparés, les différences les plus remarquables se situent au niveau du nombre et différents types de phages intégrés dans les génomes. Tel est le cas chez Staphylococcus aureus et Streptococcus pyogenes dont les différentes souches séquencées jusqu'à présent se distinguent essentiellement par leur contenu en phages. Dans certains cas, comme par exemple chez des souches de Salmonella enterica, les prophages intégrés ont conduit à d'importants réarrangements du chromosome. Le mouvement des phages a par conséquent un impact important dans l'évolution des génomes de bactéries.
D'un point de vue évolutif, l'intégration de prophages et leur maintien dans le génome bactérien impliquent un certain nombre de considérations. D'un côté, les phages représentent un danger permanent pour la bactérie, pouvant être induits et lyser l'hôte. D'un autre côté, ces mêmes virus peuvent apporter de nombreux avantages sélectifs à la bactérie qu'ils infectent. Le génome des phages peut apporter des gènes non essentiels à l'hôte, mais augmentant la compétitivité et l'adaptabilité de cet hôte dans une niche écologique déterminée. Ces gènes peuvent être de nature très variée et conférer à l'hôte des caractéristiques bien définies, comme par exemple :
De telles fonctions ne servent pas, a priori, au développement du phage, mais confèrent un avantage sélectif favorisant le maintien du prophage. C'est ce qu'on appelle la conversion lysogénique de l'hôte.
La biologie moléculaire, ainsi que les récentes méthodes d'analyse des génomes, ont vite permis d'établir un lien entre l'acquisition de prophages et l'émergence de nouveaux pathogènes. Les exemples qui suivent illustrent de façon notoire ce chapitre de l'évolution bactérienne.
Alors que la majorité des souches E. coli trouvées dans l'intestin des mammifères sont inoffensives, certains sérotypes sont des pathogènes pouvant causer des affections graves chez l'humain. Le meilleur exemple est E. coli O157 :H7, responsable de diarrhées et de colites hémorragiques et, dans les cas les plus sévères, du syndrome hémolytique et urémique (SHU) conduisant à la défaillance rénale. La virulence de la souche O157 :H7 est essentiellement due à la présence de deux phages, Stx1 et Stx2, codant pour les toxines qui sont à l'origine des symptômes. Ces toxines, mieux connues sous le nom de « Shiga toxines » car initialement identifiées chez le genre Shigella, sont des inhibiteurs puissants de la synthèse de protéines. Les Shiga toxines traversent la barrière épithéliale et passent ainsi dans le sang, d'où elles atteignent rapidement d'autres organes, les reins étant en général les plus sensibles. Le pouvoir pathogène de cette souche est tel que de toutes petites quantités ingérées suffisent à causer une infection. Le réservoir naturel de la souche est le système digestif du bétail, chez qui O157 :H7 est asymptomatique pour des raisons encore inconnues. On soupçonne que ceci est essentiellement dû à une régulation de la production de stx1 et stx2 différente de chez l'humain. La cause primaire d'infection chez l'homme est l'ingestion de viande mal cuite, de produits laitiers crus ou d'eau contaminée.
Les phages Stx1 et Stx2 sont du même type que lambda et sont activés par des sources de stress affectant l'intégrité de la bactérie (UV, substances antibactériennes, H2O2, etc.). Non seulement les phages sont induits et peuvent infecter des souches inoffensives de la flore intestinale, les rendant ainsi pathogènes, mais la production de toxines est également augmentée. Ceci pose problème lorsque l'infection est traitée par des antibiotiques. La réponse initiée par le système de défense de la bactérie a pour effet l'activation des phages, ce qui ne fait qu'aggraver l'état du patient. Chaque année, de nombreuses victimes (surtout enfants et personnes âgées) sont recensées aux Etats-Unis et en Europe.
Le séquençage et la comparaison de nombreux sérotypes de E. coli ont mené à la conclusion que l'acquisition des phages Stx1 et/ou Stx2 est un phénomène assez récent dans l'émergence du pathogène. Ceci est un indicateur de l'évolution rapide des bactéries par acquisition d'éléments mobiles (phages, plasmides, transposons, éléments intégratifs). De nouveaux variants de O157 :H7 sont ainsi susceptibles d'être isolés dans un avenir proche.
Le spectre de virulence de Staphylococcus aureus peut être extrêmement variable d'une souche à l'autre. Alors que la majorité des individus sont colonisés par des staphylocoques (surtout au niveau des voies respiratoires), très peu présentent des symptômes. Pourtant, les infections nosocomiales dues aux staphylocoques dorés sont majoritaires et souvent graves en conséquences. Ceci s'explique par le fait que la plupart des souches isolées dans les hôpitaux résistent aux antibiotiques les plus puissants (vancomycine et méthicilline). Ces résistances sont en général acquises par le biais d'éléments génétiques mobiles et sont le plus souvent accompagnées d'un ensemble de gènes de virulence. De nombreuses toxines sont encodées par des phages et valent à S. aureus son efficacité d'invasion de l'hôte, notamment grâce aux cibles diversifiées qu'elles visent. Ainsi, la leukocidine Panton-Valentine (PVL) cause des nécroses de la peau et muqueuses et est surtout connue pour ses effets dévastateurs dans des cas de pneumonie nécrotique. La leukocidine est composée de deux sous-unités protéiques qui s'insèrent dans la membrane des cellules immunitaires (globules blancs, macrophages, monocytes), causant leur lyse rapide. D'autres exemples de toxines codées par des phages sont les nombreuses entérotoxines et les superantigènes responsables des symptômes d'intoxication alimentaire ou bien encore la staphylokinase qui permet à S. aureus d'échapper au système immunitaire.
La diversité de S. aureus et de ses toxines associées rend la prévention et le traitement des infections particulièrement difficile, et présente de sérieux défis à vaincre dans les milieux cliniques.
Félix d'Hérelle fut parmi les premiers à réaliser le potentiel des phages dans le traitement des infections bactériennes chez l'humain. En 1933, il co-fonda avec George Eliava en République soviétique de Géorgie (aujourd'hui, la République de Géorgie) un institut de recherche entièrement dédié aux phages. On y guérit jusqu'à ce jour de nombreuses infections ayant résisté aux antibiotiques les plus puissants. Le traitement par les phages, aussi connu sous le nom de phagothérapie, est une voie prometteuse dans la lutte contre les bactéries pathogènes en médecine humaine et vétérinaire. A l'heure actuelle, de nombreux laboratoires européens et américains se concentrent sur l'étude de phages destinés à l'usage thérapeutique. Toutefois, des réticences, comme l'éventuelle sélection de bactéries résistantes ou encore la réponse immunitaire associée au traitement par des virus, ont ralenti la mise en route d'essais cliniques. Une solution au problème est offerte en traitant les infections par un mélange de différents phages ciblant la même espèce bactérienne. Ceci permet de réduire la probabilité de sélection de pathogènes résistants. Aussi, des composants isolés du phage, tels que les enzymes lytiques qui détruisent l'hôte, sont actuellement déjà utilisés et ont un pouvoir immunogène très limité.
Les organismes régulateurs insistent sur la nécessité de séquencer les phages destinés à la thérapie, ainsi que sur la bonne connaissance de leur mode de propagation. Ils doivent en effet être virulents et dépourvus de gènes ayant un quelconque rôle autre que la destruction de l'hôte. Etant donné l'émergence permanente de nouvelles souches multi-résistantes, la phagothérapie est une prometteuse alternative aux antibiotiques qui ne suffisent plus, à eux seuls, à combattre les infections.
Le développement de la génétique moderne et surtout les nombreux projets de séquençage de génomes bactériens ont permis d’élucider les mécanismes employés par les phages dans le transfert d’éléments génétiques et de mesurer leur impact dans l’émergence de souches virulentes. Les bases de données publiques (National Center for Biotechnology Information, NCBI) témoignent de l’abondance de prophages intégrés dans les génomes bactériens, parfois représentant jusqu’à 20% du patrimoine de la bactérie. Ces prophages peuvent se présenter sous au moins trois formes différentes :
Le grand nombre de phages intégrés dans les génomes bactériens illustre l’impact de ces vecteurs dans les transferts horizontaux de matériel génétique. Longtemps négligée en faveur de l’étude de la transposition et de la conjugaison, l’acquisition de nouveaux gènes par transduction revient aujourd’hui au premier plan.
D’un point de vue évolutif, l’intégration de prophages et leur maintien dans le génome bactérien impliquent un certain nombre de considérations. D’un côté, les phages représentent un danger permanent pour la bactérie, pouvant être induits et lyser l’hôte. De l’autre côté, ces mêmes virus peuvent apporter de nombreux avantages sélectifs à la bactérie qu’ils intègrent. Ces derniers se traduisent par des gènes non essentiels à l’hôte, mais augmentant la compétitivité et l’adaptabilité de cet hôte dans une niche écologique déterminée. Ces gènes peuvent être de nature très variée et conférer à l’hôte des caractéristiques bien définies, comme par exemple :
De telles fonctions ne servent pas, a priori, au développement du phage, mais confèrent un avantage sélectif favorisant le maintien du prophage. C’est ce qu’on appelle la conversion lysogénique de l’hôte.
La biologie moléculaire, ainsi que les récentes méthodes d’analyse des génomes, ont vite permis d’établir un lien entre l’acquisition de prophages et l’émergence de nouveaux pathogènes. Les exemples qui suivent illustrent de façon notoire ce chapitre de l’évolution bactérienne.